Si le déclenchement de la guerre en Ukraine est dans tous les esprits, cet événement ne peut être l’unique source de la grave crise de l’énergie que subissent les Françaises et les Français. Ces dernières décennies, les décideurs politiques n’ont eu de cesse de maltraiter l’entreprise EDF, un géant unique en Europe et dans le monde qui a toujours attiré les appétits insatiables de la haute finance.
Au sortir de la guerre, le débat parlementaire aboutit le 8 avril 1946 au vote de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, présentée et ardemment défendue par Marcel Paul, le ministre communiste de la Production industrielle. L’entreprise Gaz de France est créée et Electricité de France est chargée de produire, de transporter et distribuer l’électricité à tous les Français et à moindre coût. Le principe de péréquation tarifaire est mis en place : deux consommateurs ayant le même profil de consommation, avec le même fournisseur et la même offre, se verront facturer le même tarif, quelle que soit leur localisation géographique sur le territoire français (zones rurales ou urbaines, métropole ou outre-mer). Cela a extrêmement bien fonctionné. EDF, en situation de monopole public, a investi lourdement dans la construction des barrages hydroélectriques, des centrales nucléaires et les réseaux de transport et de distribution.
Mais en juin 2003, le Parlement européen et le Conseil adoptent deux directives ayant pour objectif d’instaurer une ouverture totale à la concurrence du marché du gaz et de l’électricité. Ainsi, depuis le 1er juillet 2007, tout consommateur peut librement choisir son fournisseur de gaz et d’électricité.
Cette ouverture des marchés s’est faite avec une grande promesse : la mise en concurrence fera baisser les prix ! C’est alors qu’en décembre 2010 et pour répondre à une demande de l’Union européenne, est votée la loi portant sur la Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité (dite loi NOME) pour permettre aux consommateurs de choisir librement leur fournisseur d’énergie tout en maintenant pour EDF et GDF le principe des Tarifs réglementés fixés par l’Etat.
Mais investir dans la production d’électricité coûte énormément cher pour ces nouveaux acteurs alternatifs qui ne produisent rien… C’est alors que la loi NOME a imposé à EDF, unique fournisseur d’électricité en France depuis 1946, de céder un quart de sa production nucléaire à la concurrence (100 TWh sur 400) sur la base d’un prix fixé par arrêté à 42 € par MWh. Il s’agit ici de l’ARENH (tarif d’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique).
Un prix fixé au doigt mouillé selon le président de la CRE de l’époque, qui a spolié EDF car il ne correspond pas au coût de production. Quelques années plus tard, tout le monde est d’accord pour dire que ça ne marche pas, que les prix ne baissent pas et que les acteurs alternatifs n’investissent pas dans la production, mais en 2022 ont décide de porter le volume de l’Arenh à 120 TWh au prix de 46,5 € par MWh !
Lors d’une conférence de presse tenue ce 27 octobre 2022, le ministre de l’Économie et la Première ministre ont informé qu’à partir de 2023, le volume d’ARENH disponible pour les concurrents d’EDF serait diminué à 100 TWh au lieu de 120 en 2022. Son prix reviendrait également à 42 € par MWh. Compte tenu du fait qu’EDF ne produit plus qu’entre 300 et 330 TWh d’électricité par an, l’ARENH représente 1/3 de sa production totale !
La libéralisation des marchés de l’énergie ou plutôt son dérèglement complet a vu apparaître les traders (opérateurs de marché) avec pour effet pervers des prix exorbitants qui ont monté à presque 1 000 € le MWh. Cela ne repose même pas sur le coût de production mais uniquement sur l’effet du trading.
Plus grave, lors de situations tendues sur les réseaux, les acteurs alternatifs profitent du marché pour faire de l’argent sur le dos d’EDF, telle la société MINT Énergie qui a revendu 6,2 millions d’euros d’ARENH à EDF. Elle a acheté des quotas d’ARENH à 46,5 euros le MWh pour les revendre à 257euros le MWh sur le marché libre. Le tout, en les revendant directement à EDF elle-même !
Les faits reprochés, s’ils étaient avérés, seraient d’autant plus graves au regard des 12 millions d’euros d’aides publiques reçus par MINT Energie pour compenser la mise en place du gel tarifaire des tarifs réglementés de vente. La société a par ailleurs bénéficié de deux prêts garantis par l’État, l’un à hauteur de 8,7 millions d’euros, l’autre de 5,1 millions d’euros.
La situation paraît particulièrement éloquente sur les dérives issues du mécanisme de l’ARENH. Elle décrit un circuit d’abus, dans lequel des quotas d’ARENH censés protéger les consommateurs et consommatrices de l’inflation deviennent un outil spéculatif au service d’opérations de trading.*
A l’heure où de nombreux usagers ont les plus grandes difficultés pour régler leurs factures d’énergie et que la dette d’EDF va atteindre cette année les 70 Milliards, on est en train de gaver d’argent public des entreprises qui ne produisent rien et se font beaucoup d’argent sur les marchés et cela est insupportable.
(*) Question écrite n° 03534 de M. Fabien Gay (Seine-Saint-Denis – CRCE) publiée dans le JO Sénat du 27/10/2022 – page 5280 https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ221003534.html