« Dossier propulsé par Paul Fouache et Laure Isabelle Ligaudan, distribué à toustes les élu.es de Fécamp suite à une intervention au Conseil Municipal. Mars 2021.«
Tribune pour la dignité, pour un Revenu Universel
Depuis le début des années 2000, le monde connait une profonde transformation de ses modes de communication et de production appelée la révolution numérique. Cette révolution impacte tous les secteurs d’activités ainsi que la vie privée de tous et invite à repenser les manières de vivre et de travailler.
A l’instar des révolutions industrielles du 19e siècle, la révolution numérique est en train de bouleverser la conception même du travail.
Ce bouleversement passe par l’introduction de nouveaux métiers nécessitant de nouvelles compétences, par des changements géographiques pour la production avec des délocalisations massives mais aussi par une mutation du marché de l’emploi. Le monde du travail a connu l’automatisation, la robotisation et maintenant la numérisation qui permet de produire toujours plus avec moins de main d’œuvre.
L’époque des Trente Glorieuses et du plein emploi étant révolue, il est aujourd’hui impératif de repenser la valeur travail. Le chômage augmente depuis les années 70 et la pauvreté connait elle aussi un accroissement. Cette situation de tension constante du marché du travail tente d’être contrecarrée par des politiques publiques diverses qu’elles soient sociales ou libérales. Néanmoins, la situation reste inchangée, le travail manque.
Avec ce constat politique, économique et social, il convient de réfléchir collectivement aux causes de ce problème et de trouver des solutions. Une première étape de cette réflexion est d’être lucide face à la situation du travail en France mais aussi dans le monde. La révolution du numérique et la mondialisation libérale ont asséché les réservoirs d’emplois et le marché du travail est saturé. L’avenir ne parait pas renverser cette conjoncture car la numérisation et la robotisation sont en pleine expansion.
Ainsi, le travail se fait rare et se fera, quoi qu’il arrive, toujours plus rare. Avec la génération du baby-boom de l’an 2000 qui fait son entrée sur le marché du travail, le constat parait clair : il y a de plus en plus de travailleurs mais de moins en moins de travail. Par ailleurs, le fait qu’il y a moins de travail ne signifie pas que la production baisse et que la valeurs produite par le pays s’amenuise. Le travail effectué par les outils technologiques supplante le travail humain mais garanti tout de même la poursuite de la production.
Un peu d’histoire …
Après avoir proposé la création d’un capital de départ pour les jeunes de 21 ans financé par les taxes foncières, Thomas Paine, en 1797 propose pour la première fois un premier revenu universel tout au long de la vie.
En 1848, Joseph Charlier identifie la notion d’un patrimoine commun dont chaque individu devrait se voir reversé un dividende territorial payé chaque trimestre.
Sur ce principe, en, Alaska, un fond souverain a été crée sur les revenus des ressources pétrolières dont une partie fut réservée à des investissements sur le marchés financiers et une autre reversée sous la forme de dividende annuel à chaque résident et résidente.
Depuis 1976, ce dividende existe, il est distribué en Octobre.
Au début des années soixante, à droite comme à gauche, des initiatives sont apparues et ont même été portées dans des programmes présidentiels.
En Europe, c’est en 1980 que Philippe Van Parish crèe un réseau autour de l’idée d’un revenu de base. Depuis 2004, ce réseau se nomme Basic Income Earth Network et il sensibilise au travers de conférences sur la nécessité de mettre en place le revenu de base.
En 2013, le Mouvement français pour le revenu de base est crée par un collectif de citoyens, 27 Pays participent, 300 000 en Europe dont 54 000 en France.
C’est ce collectif qui proposera à Benoit Hamon d’en faire un axe de campagne en 2017.
Aujourd’hui, certaines expériences démontrent la nécessité de repenser la valeur travail et de séparer l’emploi rémunéré du travail pour que chacun et chacune puisse s’émanciper des contraintes « à travailler » pour gagner de l’argent et redonner du sens au travail utile pour soi ou la société, sans obligation de rentabilité sonnante et trébuchante en contrepartie.
Dans le Lot et Garonne, l’éco village Terra, depuis 2018 autofinance cinq revenus universels grâce aux activités économiques du village dont 85 % en monnaie locale complémentaire.
La monnaie locale vient renforcer l’économie locale et circulaire et permet de générer du temps et de l’énergie aux personnes pour s’investir dans le développement de l’éco village.
Le Revenu universel d’existence, une utopie pragmatique
Le Revenu universel d’existence doit être attribué à toute personne physique dès sa naissance et jusqu’à son décès.
Il ne devra pas pouvoir être transféré à une autre personne, il ne peut être versé sur un compte joint, il doit être attaché uniquement à une personne physique unique.
Le Revenu universel d’existence ne peut être imposable.
Il doit être inconditionnel et sans aucune contrepartie.
Le montant peut être mis en discussion mais il semblerait naturel, pour qu’il permette une émancipation, qu’il soit mis en œuvre sur la base du seuil de précarité de chaque pays où il sera implémenté.
En France, 1 200 euros semble une base pertinente.
Le Revenu universel d’existence doit permettre de décorréler l’emploi du travail et de valoriser un travail d’utilité publique, dans la sphère privée de façon temporaire ou encore dans un cadre individuel de transition. Le RUE est une évidence acquise pour certains et certaines et n’interroge absolument pas le respect qu’ils peuvent avoir pour le travail. Le travail n’est déjà plus synonyme d’emploi, pour d’autres la transition n’est pas évidente et prendra plus de temps car cela bouscule les certitudes et les archétypes ancrés dans nos sociétés productives.
Il n’est pas utile de revenir sur le pouvoir émancipateur du Revenu universel d’existence, nous le ferons, thème par thème afin que chaque personne puisse s’identifier à la liberté que ce RUE pourra générer tout au long de son parcours de vie.
Quelque soit la composition familiale, chaque personne percevra un RUE.
Les enfants auront chacun leur RUE sur un compte auquel le ou les parents ne pourront pas accéder.
Une partie de ce RUE dédié à chaque enfant sera attribué au foyer pour participer à son éducation.
Cette somme participative est à définir, elle peut être évaluée entre 400 et 500 euros par mois.
A sa majorité ou pour financer des études ou par décision de justice dans des cadres de protection de l’enfant, la somme accumulée pourra être débloquée au profit de l’enfant.
Certaines aides complémentaires pourront naturellement être remises en perspective comme l’aide à la rentrée scolaire ou les bourses étudiantes ou encore des allocations spécifiques pour des situations spécifiques, une concertation citoyenne est à mettre en œuvre dans toutes les villes pour une décision démocratique.
A titre d’exemple, il existe un réel combat pour qu’une personne en situation de handicap puisse conserver son allocation alors qu’elle vit en couple, la question n’aurait plus a se poser et que de dignité conservée !
Le questionnement se déplacerait sur l’utilité symbolique à conserver cette allocation au sein de concertations citoyennes.
En effet, ne nous trompons pas, il s’agit de conserver une autonomie financière, garante de la dignité individuelle à pouvoir faire ses propres choix.
Il sera certainement nécessaire de reformer ces allocations en consensus avec les personnes concernées car la valeur symbolique de reconnaissance d’une situation peut faire sens et nécessiter du dialogue.
Cependant, le RUE devant être le même sur l’ensemble du territoire, d’autres aides comme les allocations logements pourront conserver du sens sur certains territoires.
Pour conclure, il sera impératif de consolider au travers du RUE des allocations qui peuvent disparaitre et d’évaluer avec précision celles qui devront venir compléter le RUE comme elles complétaient un SMIC si aucune autre source de revenu n’est présente pour la personne ou le foyer.
Il faut néanmoins évoquer l’emploi, car le RUE n’a pas vocation à faire disparaitre l’emploi ni le travail, même si il bouscule les codes ancestraux de notre rapport au travail et de ce qu’il représente pour chacun et chacune d’entre nous.
Partons donc du principe que le RUE est acquis et qu’il est déployé dans toutes les régions et départements de France.
Rien n’empêche l’emploi et sa rémunération quelque soit la forme de cet emploi et le statut de la personnes concernée.
Ce qui importe plus serait plutôt, que sans entraver personne dans ces choix de vie et ses opportunités de vie professionnelle ou d’activités non rémunérées, l’argent reprenne un sens dans l’essentiel des choix de vie de chacun et chacune et n’en soit plus le sens essentiel.
Le revenu universel d’existence doit être un droit
- UniverselInconditionnel
- Individuel
- Permanent
- Inaliénable
- Cumulable
- Une fiscalité devrait être mise en œuvre pour permettre de financer l’intérêt général au « vivre ensemble » ou a minima au vivre « à coté ».
Une fiscalité devrait être mise en œuvre pour permettre de
financer l’intérêt général au « vivre ensemble » ou a minima au vivre « à coté ».
C’est certainement cette urgence au vivre « à coté » suite au constat de la complexification au « vivre ensemble » que les politiques n’ont pas su gérer ni anticiper et dont ils ont accéléré la disparition délétère sans en mesurer les impacts sociaux et sociétaux qui permet, aujourd’hui, de voir apparaitre une réflexion plus consensuelle autour de cette proposition.
Peut être, en étant patients, verrons nous apparaître, un jour, ce qui existe en Suisse depuis longtemps, des monnaies alternatives spécifiques comme le VIR qui sont basées sur un principe économique qui date du moyen âge : l’argent qui dort n’a pas d’intérêt (au sens philosophique comme au sens financier), il est fait pour circuler et servir l’économie réelle.
Cette circulation de refonte de la fiscalité devrait prendre une forme assez simple de taxation graduée :
Créer des tranches d’imposition en fonction des rémunérations mensuelles complémentaires au RUE.
- Inférieur à 5 000 euros imposition équivalente à celle actuelle 30%
- Entre 5 000 et 10 000 imposition 45%
- Entre 10 000 et 70 000 50%
- Au delà de 70 000 euros 60%
- Au delà de 70 000 euros 65%
Une refonte de tous les avantages fiscaux devra être mise en œuvre.
Concernant les entreprises et les actionnaires/investisseurs, le pouvoir politique doit s’emparer des ravages de l’évasion fiscale. Il serait peut être nécessaire de revoir la copie et de ne pas s’opposer à la démarche vieille comme le capitalisme de vouloir cacher ses ressources. Il serait plus utile de les obliger à des contreparties en fonction de leurs politiques fiscales. Il faudrait peut être envisager de ne plus leur donner les moyens d’éviter les fiscalités, voire de financer leurs mensonges d’employabilité en échange d’emplois précaires by design.
Le financement du RUE
En préambule, il n’y a jamais eu autant d’argent dans le monde qu’aujourd’hui.
Cela fait très longtemps que la capitalisation financière est centralisée dans aussi peu de mains.
Et puis, factuellement :
- La reforme fiscale financera le RUE.
- La refonte des systèmes d’allocations financera le RUE.
- La taxation de la valeur financière du travail automatisé, même en soustrayant les coûts de maintenance et de R&D, financera le RUE.
- La taxation des transactions financières et spécifiquement celles à hautes fréquences, financera le RUE.
- L’encadrement des politiques de fiscalité par taxation financera le RUE.
Alors, oui, il faut un peu de courage politique pour engager une démarche au bénéfice de la paix.
De mon point de vue, c’est la seule qui puisse remettre les compteurs à zéro et nous donner une chance de retrouver un peu de dignité quelque soit notre niveau de vie et notre situation.
Personne ne souhaite vivre dans un maison avec des barbelés, des caméras, des miradors et des armes pour se défendre contre ceux qui ont faim et personne ne souhaite sacrifier sa vie, son équilibre mental et psychologique, sa santé que ce soit pour se résigner ou mourir pour se nourrir ou nourrir ses enfants.
Ces temps sont peut-être révolus mais la donne change.
Cette stratégie des perdants-perdants a assez duré dans notre société et nous font très majoritairement honte.
C’est dans un moment ou le mot de guerre n’a jamais autant raisonné dans nos oreilles, que nous demandons ce courage pour nous et nos enfants sans distinction de race, de couleurs, d’origines et surtout sans jugement sur leur choix de vie et leur façon de vouloir tenter de reconstruire un monde solidaire que nous, les baby boomers et leurs parents, avons clairement détruit sans même vraiment s’en être rendu compte pour la plupart d’entre nous.
Je suppose que ceux qui ont toujours été conscients de leurs associations pour leurs bénéfices et celui de leur clan à cette destruction ne seront pas d’accord et s’arc-bouteront sur leurs acquis et leur vision d’un monde de maîtres et d’esclaves.
Je suppose que ceux qui sont d’accord depuis longtemps et ceux qui commencent à se dire que l’idée n’est pas utopiste, sauront défendre cette opportunité. Transformer une résignation déprimante en détermination émancipatrice est éminemment libérateur et joyeux.
Le revenu universel d’existence, qui en parle ?
« Ce qu’il faut de courage, plaidoyer pour le revenu universel » est un ouvrage écrit par Benoit Hamon en octobre 2020.
Morceaux choisis :
» On résiste à l’invasion des armées ; on ne résiste pas à l’invasion des idées » Victor Hugo 1877
» Ce livre défend la création d’un revenu qui soit versé à tous (universel), indépendamment de la situation familiale de chacun (individuel), sans contrepartie (inconditionnel), et tout le temps de la vie. «
» Le revenu universel se conçoit donc comme une contrepartie légitime au partage inégal des richesses qui s’est opéré entre les hommes, générations après générations » J’ajouterai entre les hommes et les femmes …
» La crise de la Covid-19 est venue changer la donne, ou plutôt, accélérer les prises de conscience « … » des millions de femmes et d’hommes ont vu leur vie basculer du jour au lendemain » … » Le confinement de milliards d’être humains au même moment a créé une situation extraordinaire à laquelle plusieurs pays ont répondu en élaborant des dispositifs transitoires proches du revenu universel «
» Accorder des droits à l’individu et non au travailleur permet d’en finir avec la figure de « l’assisté » et d’éviter les phénomènes de stigmatisation. «
» Cette méfiance à l’égard du RUE, avant la critique budgétaire ou économique, est d’abord morale et culturelle. Recevoir un revenu sans travailler, c’est se nourrir sur le dos des autres, c’est donc moralement condamnable «
» Le néolibéralisme a accouché d’États prédateurs de l’intérêt général, qui cherchent à imposer partout les principes d’une compétition prétendument juste, fondée sur l’innovation, l’égalité des chances, l’adaptation et le mouvement, dont le résultat reproduit immuablement la même hiérarchie de gagnants et de perdants «
» quand reconnaîtra-t-on, d’ailleurs, que les vrais parasites sont ceux qui vivent au détriment du plus grand nombre, prennent tout et ne donnent rien «
Sénèque » le devoir de l’homme est d’être utile à l’homme «
» Le RUE reconnaît le travail sous toutes ses formes : l’emploi et le travail gratuit qu’il soit domestique, bénévole ou celui du consommateur «
» Le RUE est un puissant antidote à la déshumanisation de nos sociétés. Il donne du temps. Il donne de la liberté. Il donne la possibilité de reprendre une vie » humaine » pour partie libérée de l’addiction aux loisirs numériques, de la consommation de masse et de la servitude volontaire «
» Avec le revenu universel, créer de l’emploi n’est plus un but en soi . »… « Le RUE n’est pas une allocation, il donne vie aux droits sociaux du citoyen qui reconnaissent chaque individu en tant que molécule d’un corps productif, comme producteur de quelque chose qui dépasse l’activité de travail rémunéré « .
» La déclaration de Philadelphie qui a défini les buts de l’Organisation internationale du travail (OIT) après-guerre affirmait ainsi dès son article II » qu’une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale « .
Aude Vidal, une militante du revenu de base de la première heure a écrit un petit livre « le revenu garanti, une utopie libérale » pour exprimer son désengagement de cette démarche et en explique les raisons.
Des nouveaux venus, opportunistes ou convaincus ?
Le pape François a déclaré le 17 avril 2020 par écrit aux travailleurs pauvres « Je sais que vous avez été exclus des avantages de la mondialisation. Vous ne jouissez pas de ces plaisirs superficiels qui anesthésient tant de consciences. Cependant, vous devez toujours en subir les inconvénients. Les maux qui nous affligent tous vous frappent par deux fois … Vous, travailleurs de l’économie informelle, indépendante ou populaire, n’avez pas de salaire stable pour exister à ce moment et les quarantaines deviennent insupportables pour vous … Il est peut être temps de réfléchir à un salaire universel qui reconnaisse et donne de la dignité aux taches nobles et irremplaçables que vous accomplissez «
Quelques avis synthétisés dans un article :
- Guy Valette, Militant du Mouvement français pour un revenu de base ,
- Catherine Mills, Économiste, commission économique PCF, directrice d’ Économie et Politique,
- Sophie Taillé-Polian, Sénatrice Génération.s du Val-de-Marne,
- Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités
Article complet par Pierre Chaillan – Humanité le 24/11/2020 :
En période de chômage partiel de masse. Le revenu de base ou universel, une solution contre la pauvreté ?
La crise sanitaire a mis à l’arrêt des secteurs entiers et menace de nombreux emplois. Certains avancent différemment la réponse d’un revenu socle, d’autres y voient une impasse.
Un nouveau pilier
Guy Valette, Militant du Mouvement français pour un revenu de base
Avec la compétitivité internationale, la pression sur les salaires s’est accentuée. En quarante ans, 10 % de la valeur ajoutée a migré du travail vers le capital. La part des dividendes a triplé. Le progrès technique ne s’accompagne plus de progrès sociaux. Bernard Stiegler décrit la disruption quand l’innovation est captée par les Gafam, qui imposent des modèles qui détruisent les structures sociales. Au fil du temps, les divers gouvernements ont mis en place un système de redistribution pour tenter de corriger ce qui est mal distribué. Par l’impôt on finance des minima sociaux, des aides aux familles, aux salariés et aux employeurs. Cette redistribution curative, conditionnée, corrige un peu les inégalités, mais elle laisse 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté. Elle divise la société en » ayants droit » et contributeurs pendant qu’une minorité fait sécession à coups d’optimisation fiscale.
Sans perdre de vue la nécessité d’augmenter la part du travail dans la valeur ajoutée, on peut substituer à cette redistribution organisée par l’État une redistribution universelle transformatrice, gérée par la Sécurité sociale. Redistribution qui s’appuie sur les principes de solidarité et d’universalité : on reçoit et on participe au financement. Ce revenu dissocié de l’emploi doit être d’un montant suffisant pour se substituer à toutes les aides de l’État. Son financement peut être assuré à la fois par une contribution progressive sur tous les revenus, une contribution sur le patrimoine net privé, et par une cotisation sur le capital productif, les machines qui remplacent l’homme. Ce revenu est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué individuellement à tous les membres d’une communauté, de la naissance à la mort, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie. Ce revenu de base doit permettre de répondre aux mutations du travail comme aux défis environnementaux. On contribue à soustraire l’individu aux tâches pénibles, aux activités nocives pour l’environnement et la santé. On viabilise l’agriculture paysanne, les commerces et l’artisanat local, les activités culturelles et les métiers du soin.
On valorise les activités non marchandes, familiales et on autorise l’implication dans la vie de la cité. Le revenu, comme la contribution, est individuel, il permet de dire non à des conditions dégradantes dans la vie privée comme dans l’entreprise. Il donne aux salariés et aux organisations syndicales des capacités de lutte et de négociation pour de meilleurs salaires et conditions de travail. On ouvre la voie vers la réduction du temps de travail.
Après l’instruction gratuite, l’assurance-maladie, assurons une extension de ces droits par une véritable sécurité sociale universelle : » Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité ; un tel résultat ne s’obtiendra qu’au prix de longues années d’efforts persévérants, mais ce qu’il est possible de faire aujourd’hui, c’est d’organiser le cadre dans lequel se réalisera progressivement ce plan » (1). Il est temps d’achever ce programme ambitieux avec ce nouveau pilier de notre Sécurité Sociale.
La bagarre contre le coût du capital
Catherine Mills, Économiste, commission économique PCF, directrice d’Économie et Politique
Le revenu universel ou de base est proposé par certains à gauche. Mais c’est aussi un projet ultralibéral, prôné notamment par l’économiste néoclassique américain Milton Friedman. On prétend allouer un revenu monétaire dans le cadre de la théorie des choix individuels. Ce revenu dit aussi d’existence serait octroyé à chacun sans conditions de ressources. Ce revenu monétaire, individuel et faible, s’opposerait aux services publics et au salaire minimum.
En France, les plans libéraux visent l’éclatement de notre système
de Sécurité sociale : un repli vers l’assistance avec un financement par l’impôt, un filet de sécurité sociale limitée avec un décrochage
du financement par les cotisations d’employeurs, enfin la montée
de l’assurance et la capitalisation. Ils recherchent la réduction des dépenses publiques et sociales, des emplois publics, en liaison avec la baisse des prélèvements fiscaux et sociaux, principalement
sur les entreprises.
Les » utopistes » envisagent un revenu inconditionnel sans conditions de ressources. Mais comment laisser croire qu’on peut engager une autre répartition des revenus sans s’attaquer au type de production des richesses ? Ces projets, qui se veulent généreux,
se heurtent à la question du financement et conduiraient de fait à
un système peu ciblé sur la lutte contre le chômage et les injustices sociales. Le montant de ce revenu universel est d’ailleurs fixé à un niveau bas, en dessous du seuil de pauvreté, et ne permettrait pas de l’éradiquer. Ces projets restent marqués par le dogme de la fin du travail et de l’impuissance à agir véritablement contre le chômage et la précarité. On » partagerait » des miettes, et l’on serait contraint à économiser sur les autres prestations sociales.
Pour notre part, nous voulons construire l’éradication du chômage et de la précarité. Le projet de sécurisation de l’emploi et de la formation, dont Paul Boccara est à l’initiative, avance le principe de continuité de droits et revenus relevés, articulé à la formation afin de viser une mobilité de progrès social, choisie. Nous voulons aussi créer un service public d’emploi et de formation avec affiliation universelle dès la fin de l’obligation scolaire, ouvrant un droit à un emploi ou à une formation rémunérée de bon niveau pour une insertion dans l’emploi qualifié. Cela exige une réforme de progrès du système d’indemnisation du chômage et de la formation continue, au lieu de nouveaux reculs imposés par le Medef. Il faut mener la bagarre contre le coût du capital, en combattant l’obsession de la réduction du coût du travail et des » charges sociales » des entreprises, alors que c’est l’explosion des charges financières qui mine notre économie.
Sécuriser l’attribution des ressources implique un nouveau type de production des richesses, il s’agirait de révolutionner les gestions des entreprises avec la conquête de nouveaux droits des salariés et des critères nouveaux de gestion. La lutte contre l’envolée des licenciements et des emplois précaires, la création d’emplois stables à plein temps, qualifiés, correctement rémunérés s’imposent. Il faut une réforme juste et efficace socialement de la fiscalité et du financement de la Sécurité sociale. Nous défendons le principe révolutionnaire de la cotisation sociale liée à l’entreprise où les salariés créent les richesses. Nous voulons promouvoir un nouveau crédit, jusqu’à la BCE au niveau européen, afin de financer un fonds de développement social et écologique, visant le développement des emplois, le progrès social et environnemental.
Un outil de transition
Sophie Taillé-Polian, Sénatrice Génération.s du Val-de-Marne
Le Secours catholique-Caritas France a publié un rapport alarmant sur » la pauvreté en France « , faisant état du risque de dépasser les 10 millions de pauvres avant la fin de l’année. Pour la première fois, de nombreuses antennes locales du Secours populaire ont dû lancer des appels aux dons pour faire face à l’afflux de nouveaux bénéficiaires. Loin d’être derrière nous, le tragique impact social de la crise sanitaire se décuple du fait du sous-financement de nos services publics et de la faiblesse inédite des associations caritatives, liée à la suppression des emplois aidés et à l’assèchement des finances des collectivités territoriales. Alors que cette lutte devrait s’inscrire au sommet des priorités, le gouvernement se refuse à mettre à contribution les grandes fortunes et maintient cyniquement sa réforme de l’assurance-chômage, dont l’objectif assumé est de » faire en sorte que le travail paye plus que
l’inactivité « , dans une période de crise sanitaire où chacun sait à quel point il est difficile d’en trouver.
L’autre impact du confinement est l’accélération de la numérisation de l’économie. La crise n’est pas la même pour tout le monde, alors qu’Amazon, champion de l’emploi précaire et expert bien connu en évasion fiscale, marquait un chiffre d’affaires en hausse de 40 % lors du premier confinement, de nombreux commerces de proximité dont les difficultés étaient déjà fortes avant la crise mettent la clé sous la porte. Avec la généralisation du click and collect, des services de livraison et de logistique des services en ligne, l’adaptation des entreprises à la crise donne un coup d’accélérateur à la disparition de nombreux emplois peu qualifiés.
La menace d’une société où une partie croissante de l’emploi salarié serait remplacée par des robots ou des logiciels que Benoît Hamon pointait du doigt lors de sa campagne présidentielle 2017 est en train de se réaliser sous nos yeux. Dans ce contexte, faire reposer intégralement le financement de la protection sociale sur les cotisations sociales issues du travail devient difficile. Avec la fiscalité injuste qui est la nôtre aujourd’hui, qui incite en outre plus que de raison à l’investissement dans la numérisation, le salarié qui peut être malade, confiné, ou pire – qui aspire à de décentes ambitions salariales –, ne peut rivaliser avec le logiciel ou le robot qumi travaille toute l’année à rythme constant et n’exige que de faibles coûts d’entretien. Retrouverons-nous un « avant » la crise ? Probablement pas. Est-ce souhaitable ? Non plus. C’est là qu’intervient l’idée d’un nouveau pacte social, d’une refonte de notre protection sociale par la taxation des gains de productivité liés à la numérisation et le revenu universel d’existence. Un revenu garanti, individuel, inconditionnel.
Automatique, il met fin à l’hypocrisie étatique qui fait des économies sur les 36 % de citoyens qui ne recourent pas aux minima sociaux alors qu’ils en ont le droit. Indexé sur le seuil de pauvreté, il nous arme pour éradiquer la pauvreté et permet de sortir la tête de l’eau à celles et ceux qui ne peuvent plus joindre les deux bouts. Bien au-delà, il offre la possibilité de choisir. Choisir son métier en refusant des emplois difficiles, indignes et mal payés. Il vient par-là donner un rapport de force nouveau, un accélérateur de la transition vers une société du temps libéré et une capacité à négocier aux travailleurs.es les plus précaires face à leurs employeurs. Choisir sa manière de consommer également. Par la redistribution des richesses qu’il opère, il donne davantage de pouvoir d’achat et libère de l’obligation de consommer » bas de gamme » : cette économie au bilan carbone désastreux qui fait son beurre sur la pauvreté, qui profite de la mondialisation et met en concurrence les industries et les travailleurs pauvres du monde entier pour refourguer aux consommateurs pauvres eux aussi des produits de mauvaise qualité.
Ne plus faire dépendre les citoyens d’un salaire de misère ouvre la porte à une nouvelle consommation plus qualitative, rendant ainsi leur dignité aux salariés et aux paysans qui produisent, au plus proche du lieu de consommation. Enfin, il réarme la jeunesse, la première à souffrir des emplois les plus précaires, et libère les étudiants issus de classes moyennes et populaires de l’obligation de travailler pour étudier, premier facteur d’échec universitaire. Grâce au revenu universel, la gauche peut se doter d’un projet fédérateur de lutte contre la pauvreté, d’émancipation individuelle et d’accompagnement de la transition écologique.
Entre folie et usine à gaz
Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités
La prochaine mutation du virus sera une crise sociale de grande ampleur. La » gauche d’après » doit à nouveau s’intéresser aux classes modestes et laborieuses au lieu de se noyer dans un débat sur le revenu universel qui bénéficiera aux riches. La crise sanitaire a conduit à une baisse des revenus des ménages et la perte d’emploi de nombreux travailleurs précaires. Les effets en chaîne risquent de prolonger cette situation pendant plusieurs années, comme toutes les précédentes crises économiques. De premiers signaux sont passés au rouge, il est temps de tirer la sonnette d’alarme.
La pauvreté a déjà augmenté très rapidement. Le nombre de foyers allocataires du RSA a crû de 2 % dès fin mars 2020, après deux ans de stagnation. L’impact du confinement est donc déjà là. De plus,
20 % des adultes ont perdu du revenu, selon les estimations de l’Observatoire des inégalités : chômage partiel, perte d’emploi précaire, baisse d’activité des indépendants. Ce sont souvent les moins qualifiés et les jeunes qui en font les frais. Donc ceux les plus à risque de basculer dans la pauvreté.
La hausse du chômage conduit systématiquement à une hausse de la pauvreté. Or, le nombre d’inscrits à Pôle emploi a bondi de près d’un million après le confinement et l’organisme prévoit d’accueillir un nouveau million de chômeurs dans les prochains mois. Les jeunes sont particulièrement pénalisés dans leur entrée sur le marché du travail mais les conséquences seront encore plus ancrées pour les seniors qui, lorsqu’ils perdent leur emploi, ont moins de chance d’en retrouver un nouveau.
Il n’est pas trop tard pour éradiquer la pauvreté, comme le promettait le président de la République en 2018. Notre système social, très avancé, n’est plus qu’à un doigt d’y parvenir. Pour cela, il faut mettre en place, non pas un revenu universel, mais un revenu minimum unique qui garantit un minimum à chacun selon ses ressources.
Alors qu’un plan de relance de 100 milliards d’euros doit être dévoilé la semaine prochaine, un dixième seulement de cette enveloppe pourrait augmenter les revenus des pauvres au niveau du seuil de pauvreté à 50 %, soit 900 euros par mois. Cela représente un complément de revenu de 150 euros par mois en moyenne.
Cinq millions de personnes verraient leur niveau de vie augmenter et le taux de pauvreté serait ramené à zéro.
Les jeunes seront les principaux bénéficiaires d’une telle mesure progressiste puisqu’ils sont aujourd’hui pour la plupart exclus du RSA avant leurs 25 ans. Mais pas seulement car les minima sociaux font vivre sous le seuil de pauvreté un chômeur en fin de droits ou une mère isolée sans ressource.
Malheureusement, la gauche et les écologistes préfèrent débattre du revenu » universel » ou » de base « , qui pollue le débat des idées depuis plusieurs décennies. Donner de l’argent aux riches comme aux pauvres, sans distinction, une folie… ou une usine à gaz car il faudrait reprendre d’une main, par le biais de l’impôt, ce que l’on a versé de l’autre. La véritable urgence est de débattre du niveau de vie minimum que la société compte proposer aux plus pauvres. Cessons la charité, instaurons une garantie anti pauvreté.
(1) Exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945.
Paul Fouache.
Secrétaire de section du parti socialiste de Fécamp
Laure Isabelle Ligaudan
Conseillère municipale Ville de Fécamp @Generation.s