Sur le chemin des révolutions citoyennes, deuxième épisode

Deuxième épisode – 13 juillet
Cette nuit, j’ai suivi la bataille à l’Assemblée nationale française. J’y tenais. Je veux me rendre compte, en observant les débats, de nos forces et des dispositions de nos adversaires macronistes. Je vois leur désarroi en limite de la panique.
 
Les votes gagnés par notre opposition et diverses autres attestent combien l’ère des votes en béton des Playmobils du premier quinquennat est bien finie. On doit s’attendre au genre de riposte sauvage et brutale dont les macronistes sont capables surtout sur un sujet comme la santé. En 2020 ils nous accusaient de vouloir faire mourir les gens et même de provoquer leur mort du Covid parce que la discussion retardait la promulgation de la loi censée sauver tout le monde. Ils essaieront de faire oublier leur refus des épurateurs d’air et des autres mesures concrètes que nous avons proposées pendant qu’eux en restent à leurs pauvres mesures de privation des libertés individuelles.
 
Me voici donc à Mexico dans une chaleur raisonnable. La ville est bien propre, la circulation plutôt fluide et cela retient l’attention quand on vient de Paris comme moi.
 
J’entame mes rencontres. J’aime tant cette ville. Soirée avec le romancier anarchiste Paco Taïbo et quelques femmes et hommes de la longue baston commune contre l’Empire. La classe !
 
Avant d’aller plus loin dans ces deux semaines qui arrivent, pour le confort de mes lecteurs je vais d’abord rembobiner le film de l’histoire politique récente en Amérique du Sud. Au début des années 2000, plusieurs pays du sous-continent américain rompent la chaîne du néolibéralisme par la voie des urnes. Cela débute avec l’élection de Chavez au Venezuela en 1999. Puis c’est le coup de tonnerre avec la victoire de Lula au Brésil en 2001 à sa quatrième tentative présidentielle, fruit d’une longue activité de reconstruction d’une gauche populaire indépendante des partis locaux corrompus jusqu’à l’os. Puis cette première vague se prolonge bientôt en Argentine, en Bolivie, en Équateur, en Uruguay. Elle a commencé à refluer au mitan des années 2010.
 
Déjà, en 2009, le président élu du Honduras, Manuel Zelaya, fut déposé par un coup d’État. Ce fut l’occasion pour la Réaction d’expérimenter des méthodes, mélangeant pour la première fois coup d’État militaire et coup d’État institutionnel. Les militaires tordaient les bras de l’élu et la Cour Suprême le destituait avec son consentement (comme le président Lugo au Paraguay) ou sans. C’est en effet cette Cour, appuyée par la presse, qui a déclenché la crise en déclarant interdite une consultation populaire que Zelaya voulait organiser pour convoquer une assemblée Constituante. Ce faisant, la Cour a donné un prétexte et un vernis légitime au coup de force de l’armée.
 
Dans les années suivantes, l’arme judiciaire et la méthode des coups d’État institutionnels furent souvent utilisées par les libéraux pour gagner des élections ou s’en passer. En 2015, Cristina Kirchner perd les élections en Argentine alors qu’elle se trouve harcelée sans aucune preuve par des accusations de corruption (relayée par certains journalistes dans la presse bien pensante française). Au Brésil la même chose arrive à Lula, qui finira par se retrouver dans cette prison de Curitiba où je suis allé lui rendre visite.
 
Depuis, il a été lavé de toutes les accusations. Par contre son juge fait l’objet de nombreuses poursuites judiciaires à présent depuis qu’il a été prouvé comment avec l’aide de la presse, de barbouzes et d’autres juges il avait inventé toutes les accusations pieusement rapportées par de prestigieux médias européens que je ne nomme pas. Sa successeur, Dilma Roussef, a été destituée en 2016 de son poste par la droite. En Équateur, en 2017, le président élu, installé par son prédécesseur Rafael Correa, trahit la révolution citoyenne et utilise les pires méthodes de répression et de harcèlement judiciaire contre la gauche. Correa est contraint à l’exil sous cent vingt-huit chef d’inculpation. Ses proches sont pour beaucoup en exil aussi poursuivi sous les motifs les plus absurdes.
 
Ce cycle de défaites, parfois très douloureuses, a largement été commenté par la presse en Europe, claironnant avec joie la fin de la vague de gauche en Amérique latine. Et le retour de leurs gorilles au pouvoir. Comme pour désespérer et accabler ceux qui les avaient soutenus sur le vieux continent. C’est néolibéralisme ou rien. « Il n’y a pas d’alternative et d’ailleurs il n’en existe nulle part dans le monde ». Ces bavards de malheur sont plus discrets aujourd’hui. Ils ont moins commenté ce qui se passe depuis 4 ans. Car un nouveau cycle est engagé.
 
Il est caractérisé par une combinaison de mouvements populaires de révolution citoyenne par la rue et d’élections donnant des reconquêtes et des victoires électorales inédites. Tel est le destin promis quand rien n’avance plus qu’à coup de corruption, de débat refusé comme aux présidentielles du Brésil, ou de la Colombie, de mensonges et calomnies méthodiquement médiatisées, de judiciarisation du combat politique, de diabolisation de toute opposition. Pas un pays sud-américain n’y aura échappé. Et la déferlante de l’inflation mondiale ne va rien ralentir dans ce domaine où que ce soit.
 
Le nouveau cycle débute en 2018, au Mexique, par la victoire historique d’AMLO et de son parti Morena. Un an plus tard, à l’automne 2019, plusieurs grands mouvements sociaux hyper caractéristiques des révolutions citoyennes éclatent dans plusieurs pays du continent : au Chili, en Équateur, en Colombie, notamment. Au même moment, en Argentine, Alberto Fernandez remporte l’élection présidentielle face à la droite, avec Cristina Kirchner comme vice-présidente. Mais il y a alors une ombre considérable au tableau : c’est le coup d’État perpétré contre Evo Morales en novembre 2019 après sa victoire à la présidentielle, au premier tour. Accepté par l’Europe, validé par le gouvernement français et bien sûr par la presse, ce coup d’État finira par tourner court. Le mouvement populaire se déploie et l’illuminée qui avait envahi le palais présidentiel la bible à la main (imaginez si cela avait été avec un Coran) a été chassée. Un an plus tard, la victoire électorale de Luis Arce au premier tour en octobre 2020 conclut cette reconquête sans bavure.
 
En 2021, Pedro Castillo crée la surprise en gagnant l’élection présidentielle au Pérou, un pays noyé dans les situations ubuesques de la corruption affichée au sommet de l’État par la famille Fujimori et depuis lors bien désarticulé politiquement. Un pays, surtout, qui avait connu depuis les années 1990 un niveau de violence extraordinaire de l’extrême droite gouvernementale et extra-gouvernementale. La gauche l’a emporté également au Honduras, effaçant enfin le coup d’État de 2009. Sa présidente est Xiomara Castro.
 
Deux autres victoires historiques sont venues compléter le tableau. Celle de Gabriel Boric au Chili en décembre 2021, est remarquable à plus d’un titre. D’abord bien sûr, parce qu’il s’agit du pays d’Allende et du point de départ sanglant du néolibéralisme mondial avec le coup d’État assassin contre lui et le règne des Chicago boys. Ils expérimentèrent la première politique néolibérale dure au monde dont se réclamèrent ensuite Reagan et Thatcher. Et qu’imitent depuis quelques autres encore. Ensuite, l’élection de Boric complète un processus de révolution citoyenne très avancé où le mouvement populaire a déjà gagné la convocation d’une assemblée constituante.
 
Enfin, il y a eu la victoire de Gustavo Petro en Colombie, au mois de juin. Là aussi, c’est historique : c’est la première fois que la gauche gagne les élections présidentielles de toute l’histoire de la Colombie. Ce pays est par ailleurs considéré par les États-Unis comme une sorte de porte-avion à eux sur le continent. Ils y ont installé sept bases militaires ! La gauche gagne le pays andin le plus peuplé. Désormais, l’ensemble des pays qui composent le parlement andin (Chili, Bolivie, Pérou, Colombie) seront gouvernés par la gauche. En octobre prochain, des élections présidentielles auront lieu au Brésil. Lula peut les gagner. Si c’est le cas, notre famille politique aura réussi en 4 petites années à renverser complètement la situation sur l’ensemble du continent sud-américain. Jamais elle n’aura été à la tête d’autant de gouvernements simultanément.
 
Naturellement, ce changement de tableau n’inspire rien en France sinon les habituels ricanements des ignorants qui pullulent. Ainsi avec « le Point » journal de style barbouze comme on a pu le voir récemment avec la publication de l’affaire inventée de A jusqu’à Z contre Corbière et Garrido. Là, une certaine Christine Clerc y écrit un billet haineux dans lequel, au milieu des confusions de pays et des noms, elle ressasse dans le désordre les arguments de la droite la plus bornée sur le Venezuela.
 
Elle considère que mon voyage est une « provocation ». Rien de moins. Elle se veut piquante à mon sujet : « sa peur de disparaitre progressivement à 71 ans de la une des journaux et des émissions télévisées le rend plus inventif et provocant que jamais ». On ne pourra pas en dire autant de cette dame Christine Clerc, qui du haut de ses 79 ans d’où elle domine la pyramide de nos âges respectifs a disparu depuis longtemps des lieux où elle pérorait au siècle précédent. Peu lui chaud ce qui se passe sur place. Je doute qu’elle en sache quoique ce soit. Elle craint sans doute que les peuples folkloriques qui y vivent n’aient encore élu des gouvernants de gauche. Et cela en dépit des Christine Clerc locaux et quoiqu’ils aient sur place des bulletins paroissiaux de la CIA parfois largement plus répugnants que « le Point » lui-même.
 
Qu’est-ce que ce genre de diatribe change pour moi ? J’y suis tellement habitué. J’y vois mon intérêt. La stupidité de mes caricaturistes les empêche surtout eux-mêmes de comprendre à quoi et à qui ils ont à faire. Car ce que j’ai appris en m’attachant à suivre et à participer autant que possible aux évènements anti libéraux du sous-continent américain a profondément nourri la stratégie patiente menée avec mes amis dans les deux dernières décennies. Un jour elle atteindra son but, d’une manière ou d’une autre, cela est aussi certain qu’inéluctable.
 
Jean-Luc Mélenchon