Sur le chemin des révolutions citoyennes, premier épisode

Premier épisode – 12 juillet
Je reprends le chemin aérien vers le continent latino-américain (comment y aller autrement qu’en avion ?). Après cette longue séquence électorale en France de vingt mois, je vais me réhydrater politiquement, me re-imprégner, labourer mon imagination politique. Apprendre.
 
Je serai pendant 15 jours au Mexique, au Honduras, et enfin en Colombie. Dans chacun de ces pays vient d’avoir lieu un évènement politique majeur pour notre famille politique. Autant de formes ou d’étapes de ce que nous appelons la « révolution citoyenne ». « Encore l’Amérique latine ! » s’écriront les moqueurs qui n’auraient sans doute rien à redire si j’allais aux USA. Oui, encore ! Car encore une fois, après une phase de ressac, les peuples latino-américains sont en train d’orchestrer de nouveaux épisodes de la révolution citoyenne. Ils choisissent, les uns après les autres, des gouvernements d’une gauche en recherche de rupture.
 
En effet, à présent déferle une deuxième vague générale de gauche sur l’Amérique latine. Elle est plus puissante que la première. Jamais il n’y a eu en même temps autant de gouvernements de la gauche populaire. Il ne s’agit pas d’idéaliser le résultat, et encore moins de vouloir en reproduire les formules. Le sujet n’est pas de juger par rapport à un projet qui devrait nous surplomber. Il s’agit de comprendre et d’apprendre de chaque cas pour notre propre combat. Sans jamais oublier ce que nous avons en commun dans les principes avec ces hommes, ces femmes et ces peuples face aux adversaires qui les affrontent. « L’Avenir en commun » est aussi un résultat de cette source d’inspiration depuis vingt ans .
 
Les sociétés latinos préfigurent les nôtres. Elles sont socialement en tâches de léopard entre très riches et très pauvres comme le devient notre pays. Là-bas aussi la classe moyenne s’arcboute pour ne pas sombrer. L’économie informelle ronge tout. Comme cela est commencé chez nous avec la « débrouille au black » qui se généralise. L’économie criminelle de la drogue, des armes et de la traite des êtres humains cancérise tous les compartiments de la société de haut en bas comme cela commence à se voir très nettement chez nous aussi pour qui sait observer. Là-bas on voit combien le crime organisé est en fait le poumon de toutes les activités délictueuses « petites » et grandes. Le sommet d’une pyramide qui ruisselle du haut toujours plus profondément et largement vers le bas. Le modèle des bandes tribales qui se sont constituées aux USA s’est exporté au Mexique et après cela un peu partout sur le sous-continent. Le phénomène s’observera bientôt en Europe puisque les causes s’en sont déjà répandues.
 
Je reviens donc au moment politique latino. Car c’est dans ce contexte qu’il prend son sens. L’impasse des solutions des droites extrêmes qui ne règlent rien mais aggravent tout par leurs politiques accélère le recours à la gauche. Ne perdez pas de vue cette donnée. Nous avons à la traiter nous aussi.
 
Naturellement, ce qui se réalise à gauche sur ce continent n’est pas exportable tel quel. Le niveau de la rupture qui s’opère n’est pas le même partout, loin s’en faut. Et que de différences ! La compréhension de la centralité des questions liées à l’impact écologique des « rattrapages économiques » dans le modèle productiviste est très inégalement partagée. C’est selon que les pays disposent ou non de ressources pétrolières, gazières ou minérales pour ne rien dire de l’agriculture.
 
Les personnages politiques aussi sont si différents. Le président Andrés Manuel López Obrador, (Amlo) au Mexique est un nationaliste au sens progressiste et social sud-américain. Il dirige un pays qui a 3 500 kilomètres de frontière avec les États-Unis, voisin agressif et dominateur s’il en est . Un pays perclus par le narco trafique qui a tué 250 000 personnes depuis 2016. Amlo a mené une lutte méthodique et frontale qui commence à payer. Nous, à quoi arrivons-nous chez nous ? Son œuvre sociale est déjà considérable. Dans un pays où la moitié de la population est encore sous le seuil de pauvreté, il a augmenté le salaire minimum de 85% et présenté un projet a l’ONU de mécanisme mondial de redistribution de la richesse.
 
Je regarde avec attention son réalisme réformateur tout en sachant qu’il n’est pas anticapitaliste comme moi-même quand nous sommes ensemble profondément anti impérialiste. Sur ce plan aussi, son courage force l’admiration. Son refus de participer à la conférence des Amériques après que les USA en aient exclues Cuba et Venezuela n’est pas une chose facile à mener avec un tel voisin !
 
Boric au Chili est certes élu hors des partis de gauche traditionnels. Il se positionne sur une ligne réformiste assumée. Il dirige un pays en état de semi-insurrection sociale et politique pendant des mois et tenaillé par une droite dont la barbarie n’est plus à décrire après la dictature de Pinochet. Gustavo Petro en Colombie a un programme qui comporte de nombreux points communs avec le nôtre. Mais il n’a de majorité ni à la chambre des députés ni au Sénat. Même situation au Pérou où le président passe en temps considérable à déjouer des complots de la droite. Au Honduras, la présidente est une démocrate révulsée par la barbarie de la droite qui a réalisé le putsch contre le précédent président constitutionnel Zelaya et a assassiné ensuite des centaines de militants et de jeunes. Et ainsi de suite. Tous affrontent des ennemis puissants, ultra violents et plein d’une morgue de classe dont on commence à avoir une idée avec la LREM en France.
 
Voilà aussi pourquoi je vais en Amérique latine, encore. Pour observer encore, et apprendre encore. Dans les trois pays je serai reçu par les hommes et la femme qui président leur République. C’est un grand honneur cela va de soi. Et c’est une occasion unique d’en savoir davantage encore sur l’art et la manière de diriger en état de surtension régionale . Une leçon précieuse à partager avec les miens.
 
Les étapes de mon voyage n’ont pas été fixées au hasard. Chacune est dédiée à un aspect des phénomènes politiques qui nous importent. Chaque fois il s’agit d’une situation que je veux voir de près, comprendre et dont je veux m’imprégner.
 
Au Mexique, il s’agit de l’organisation d’un référendum révocatoire contre le Président de la République, gagné par AMLO. Il s’agit d’un élément clé de notre programme. Je veux voir sa mise en œuvre concrète et en détails. Au Honduras, le nouveau pouvoir veut convoquer une Assemblée Constituante, l’élément central de la révolution citoyenne pour moi et pour notre programme « l’Avenir en commun ». La Colombie m’intéresse par la forte sensibilité écologique de l’exécutif élu. Gustavo Petro le nouveau Président a présenté un programme dont je sais qu’il partage beaucoup avec le nôtre. Je souhaite en parler avec lui et ses camarades.
 
Je pense ainsi affûter l’observation de ces détails que j’ai appris à connaître avec le temps et qui m’en disent long souvent sur la situation profonde d’une société. Inclus la nôtre.
 
Jean-Luc Mélenchon
 
Sur le chemin des révolutions citoyennes Juillet 2022