Le besoin éprouvé en 1958 de créer une institution comme le Conseil constitutionnel était de protéger le gouvernement dans son action, voulant ainsi se prémunir des excès présumés d’une hyperpuissance du Parlement qui avait précédé la Ve République, et avait eu cours sous les IVe et IIIe République.
La réponse des “sages” dans l’histoire de leurs jugements n’a très souvent été qu’une propagande institutionnelle liée au pouvoir pour exprimer qu’un parlement trop puissant est un véritable danger pour la République.
Nous sommes aujourd’hui dans l’excès inverse, celle de l’existence d’un gouvernement avec un exécutif trop puissant face à une assemblée maltraitée. Cette “réforme des retraites” en témoigne. Elle fera jurisprudence de mauvaise manière car elle inscrit dans le marbre de la Ve République la possibilité d’utiliser par le Président de manière excessive tous les leviers autoritaires 47.1, 49.3 visant à limiter au maximum les pouvoirs du Parlement, bâillonnant ainsi par des contraintes de délai les discussions au Parlement, en l’occurrence vingt jours accordés pour voter une loi, qui n’a jamais été votée, aux enjeux aussi importants, et validée par le Conseil constitutionnel oubliant l’esprit de la Constitution.
Par toutes ces injonctions, on voit bien que notre société n’est plus vraiment démocratique, elle est amputée, sans lieu où pouvoir discuter, le Parlement étant bâillonné. La proposition des syndicats consistant à demander à être reçus par le Président pour remettre en discussion cette question a été immédiatement refusée par Emmanuel Macron, celui-ci voulant parler sans être contraint par la parole de l’autre ! La question des retraites n’était pas à l’ordre du jour de ces rendez-vous potentiels, ce qui est une manière de couper court à toute discussion, signature d’un autoritarisme malsain du Président.
Cette méthode vérifie que la Ve République est construite pour empêcher les citoyens d’agir directement sur leur destin en réduisant un maximum les possibilités pour les gens d’intervenir dans les processus politiques que ce soit de manière directe ou indirecte.
Le référendum de 2005 en est une preuve, il est trop dangereux finalement de prendre le risque que le peuple dise non.
En l’occurrence pour les retraites, il semble acquis d’avance dans la mesure où le texte n’ayant aucune légitimité populaire, que la réponse fût négative.
Les institutions dans la Ve République ne sont plus en mesure de préserver la paix sociale et la cohésion du peuple autrement que par le sectarisme et la violence, autant verbale que physique, contre la contestation, remettant en question l’équilibre du pacte républicain et de ses trois corps constitués que sont le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire : sous l’autocrate Macron le pouvoir exécutif est très autoritaire, le pouvoir législatif est bâillonné, le pouvoir judiciaire est répressif. (À Sainte Soline, ce fût dantesque par la répression policière, aujourd’hui à Mayotte seule la répression prévaut alors que l’absence de services publics qui créent le désespoir de la population sont plus que défaillants). Le tout validé par le Conseil constitutionnel !
Cet état de fait ne produisant aucun apaisement mais plutôt une aggravation du climat social rendant plus explosif et dangereux que jamais cette crise institutionnelle.
Il reste néanmoins un article, comme une lueur d’espoir démocratique dans ce dévoiement de la Ve république ! C’est le dépôt d’une motion de censure contre le gouvernement. Pouvoir qui est entre les mains de chaque député, en faire usage c’est provoquer une dissolution de l’Assemblée nationale.
C’est une tension supplémentaire: « si tu me renverses je te dissous” pour former de nouveaux équilibres politiques. »
L’exercice du pouvoir n’est légitime que s’il repose sur le consentement à l’autorité, or aujourd’hui celui-ci n’existe plus, en tout cas il n’est pas entretenu par la classe politique qui ne fait appel au peuple qu’à l’occasion des élections et encore on se rend compte que les gens qui se déplacent le font contraints et culpabilisés “ne pas voter contre Marine Le Pen, et vous serez responsables de ce qu’il adviendra au pays”. Il n’y a plus véritablement de choix, car ces injonctions asservissent le consentement et donc l’exercice démocratique.
Sous la dominance du libéralisme, ce consentement devient impossible à obtenir. Les contraintes d’austérité sont permanentes assénées par des gouvernements qui n’essaient même plus de rechercher l’adhésion populaire parce que leurs réformes sont inacceptables, ils ne passent même plus par des procédures délibératives classiques, parce qu’ils savent qu’ils n’obtiendront pas d’adhésion.
Quand on parle de reculer l’âge de la retraite, quand il s’agit de travailler plus pour gagner moins ! Il y a toute une palanquée de mesures anti sociales qui s’accumulent au fil des ans et qui correspondent à des programmes très précis, déjà écrits, pas du tout négociables qui sont liés au libéralisme et au néolibéralisme, appliqués sans distinction et surtout sans négociation et donc sans consentement. Déni démocratique !
Nos dirigeants appliquent ce que certains théoriciens appellent “la stratégie du choc * : la montée d’un capitalisme du désastre” c’est ce qui s’est fait au Chili dans les années 70, ce qui s’est fait aussi aux États-Unis et aussi en Angleterre sous Thatcher, et aujourd’hui sous Macron.
Cette stratégie du choc vise à aller, quoi qu’il en coûte en chocs sociétaux, arrachant au peuple ses prérogatives démocratiques, organisées par un petit noyau qui décide de tout, vers une société autoritaire.
A l’opposé, l’exercice du pouvoir aujourd’hui devrait passer par un “mode d’emploi” de ce pouvoir, permettant de contester non pas seulement le texte mais l’esprit du texte, c’est-à-dire remettre à l’ordre du jour, la discussion autour de ce qui nous regarde. Cela passe par des institutions qui s’inventent et ce n’est pas du tout hors de portée du peuple qui s’assemble, qui discute, qui délibère dans un contexte de confiance pour répondre à cette question :
Quelle société voulons-nous, avec quel contrat social du vivre ensemble ?
Une fois qu’il aura triomphé du capitalisme, et c’est bien ce qui se joue en ce moment par un geste de refus parfaitement ancré dans la tradition française, car le peuple sent bien que quelque chose ne va pas en redécouvrant l’importance des institutions, le 49.3, le 47.1, et des dérives autocratiques du monarque, au bénéfice d’une minorité, où le peuple de manière illogique n’est plus le détenteur de ses prérogatives.
Pour réussir le passage de la Ve à la 6e République sans trop de heurts, il y a des voies possibles pour canaliser ce passage : le processus constituant par une assemblée constituante qui se met en œuvre pas seulement avec des experts, mais avec le peuple …
Cela montre à quel point des individus comme nous sans expertise particulière dans un sujet, peuvent se faire une opinion, peuvent décider ensemble, sans vaincre l’autre mais en argumentant et en se faisant vraiment son opinion.
Bâtir de nouvelles institutions pas seulement participatives, mais directes, actives avec la constitution de commissions citoyennes, de référendums d’initiative citoyenne (RIC), avec la possibilité d’instaurer un droit de révocation des élus.
C’est-à-dire où des individus lambda peuvent être tirés au sort participent de manière très concrète à la décision sortant ainsi d’une “démocratie” représentative. (Ce qui a toujours effrayé ceux qui avaient tendance à se considérer comme plus raisonnables et plus instruits)
Il faut savoir faire de la place à l’ensemble des citoyennes et des citoyens pour permettre de faire advenir l’intérêt général dans une démocratie délibérative. Pour instaurer « l’ère du peuple ».
Texte élaboré à partir de l’émission du Média : Face au déni de démocratie: faut-il abattre la cinquième République (Charlotte Girard)
*la stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, est un essai socio-politique altermondialiste publié en 2007 par la journaliste Naomi Klein
Pour en savoir plus sur la 6e République
Livret thématique France Insoumise : la Constituante
Comment nous allons passer à la 6e République