Elisabeth Borne est montée 9 fois à la tribune pour dégainer le fameux 49-3.
9 fois ! Depuis le 19 octobre, la première ministre a tiré à vue 9 fois sur notre démocratie.
Depuis la reprise de la session parlementaire, le 10 octobre 2022, l’Assemblée nationale travaillait sur la loi de finance (c’est-à-dire sur l’ensemble des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’année suivante. Il détermine ainsi le budget, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges selon un équilibre économique et financier déterminé) et sur le PLFSS (le projet de loi de financement de la sécurité sociale).
L’article 49-3 de notre constitution permet de faire adopter sans vote un projet de loi, si aucune motion de censure n’est votée contre le gouvernement par l’Assemblée nationale.
La révision constitutionnelle de 2008 fait que ce 49-3 ne peut être utilisé que sur un projet de loi budgétaire. Le nombre n’est pas limité. C’est ce qui a permis à E. Borne de monter 9 fois, jusqu’à maintenant, à la tribune.
Ensuite, il ne peut être utilisé que sur un autre type de texte durant la session parlementaire.
Quant à la motion de censure, elle doit être débattue au plus tôt 48 heures après son dépôt. C’est seulement si elle est approuvée par la majorité absolue des députés que le gouvernement est renversé.
Pour déposer une motion de censure, il faut la signature de 1/10ème des membres de l’Assemblée nationale, soit 58 députés.
La France Insoumise a déposé 9 motions de censure, 8 ont été rejetées à la date du 12 décembre. La dernière a été présentée à l’Assemblée nationale le 13 décembre. Elle aussi rejetée.
Le gouvernement Borne n’a qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de juin 2022. Mais pour atteindre les 289 voix requises à la destitution du gouvernement, il faudrait que la majorité des groupes des oppositions, les 151 députés de la NUPES, les 89 RN (moins un en raison d’une élection invalidée – Anne Sophie Frigout dans la 8e circonscription du Pas-de-Calais) et les 62 LR votent la motion de censure ensemble.
Il est fort à parier que le gouvernement Borne l’utilisera, une dernière fois, comme la Constitution l’autorise, pour faire passer en force la réforme des retraites, dont l’examen est prévu le 10 janvier 2023 et dont personne ne veut.
Le 13 décembre, lors des questions au gouvernement, Mathilde Panot a demandé à la première ministre si elle s’engageait à ne pas utiliser le 49-3 pour faire paraître la réforme des retraites.
Bien évidemment cette dernière a éludé la réponse.
Mais comprenons bien le non-dit de sa réponse : « Je n’envisage pas de mener cette réforme sans concertation » mais le projet sera présenté en janvier à l’Assemblée nationale, la réforme votée au printemps « pour une entrée en vigueur à l’été » ! Prenons acte des paroles de la première ministre.
Pourquoi ce 49-3 nous agace tant, pourquoi ce 49-3
est-il si dangereux pour notre démocratie,
« pourquoi on ne peut gouverner ainsi » ?
Le 49-3 est normalement un pis-aller pour un gouvernement qui cherche à éviter la fronde de quelques-uns de sa majorité ou l’obstruction parlementaire.
Dans la période présente, cette utilisation est bien plus grave :
le gouvernement l’utilise parce qu’il se sait minoritaire dans les deux chambres du Parlement. Ils sont minoritaires donc ils suppriment le vote.
Le Parlement est privé de vote, mais bien plus grave encore, privé de débat, parce que « l’opposition veut s’opposer ».
« Dans combien de démocratie dans le monde
peut-on se comporter ainsi ? »
Et tout ceci se passe dans une indifférence médiatique qu’il faut absolument relever.
Le 49-3 donne la priorité au pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif.
Mais la situation est inédite puisqu’aucun bloc majoritaire ne se dessine à l’Assemblée nationale. Le gouvernement gouverne malgré, et surtout contre, l’Assemblée nationale.
Pourtant, lorsque les discussions et débats étaient encore possibles, la majorité de l’Assemblée a souvent mis en difficulté la minorité présidentielle. Certains amendements sont passés, ont été votés :
12 milliards pour accélérer la rénovation thermique des bâtiments (le 31 octobre), 3 milliards supplémentaires pour le développement ferroviaire (le 1e novembre), pour ne citer que quelques exemples.
Mais ces milliards ont disparu au gré des coups de baguette magique du 49-3 de madame Borne, au prétexte que cela déséquilibrait leur budget.
Au sein de l’Assemblée, les débats et discussions ont été raccourcis au fil des semaines. Jusqu’à ce fameux sixième 49-3 du 25 novembre après 0 heure, 0 minute et 0 seconde de débat. L’intention est ici de nier le vote des Français et des Françaises qui ont élu les membres de cette Assemblée, censée représenter la Nation.
Le gouvernement actuel aurait préféré une représentation nationale à sa botte comme lors du premier mandat Macron. Mais depuis les élections législatives du juin 2022, ce temps est révolu. La nouvelle composition de notre Assemblée nationale aurait dû représenter une « respiration démocratique », un temps de débat et d’enrichissement des décisions.
Au lieu de cela, le gouvernement nous a opposé un autoritarisme aveugle aux besoins des Français. Cette position est intenable face à l’ampleur de la crise sociale, énergétique, écologique que nous traversons. L’obstination à détruire méthodiquement notre modèle social et à continuer de refuser à bloquer les prix et à taxer les superprofits des profiteurs de crise n’est plus tenable. Nous pourrions nous en sortir collectivement, mais pour cela il aurait fallu accepter le débat, collectivement.
Le 49-3 n’a ici aucune justification politique et c’est un abus de pouvoir légalisé par la constitution de 1958.
Débarrassons notre constitution de cet article, de cette arme contre la démocratie et vite passons à la 6e République.