Hier lundi 31 octobre, le groupe parlementaire de La France insoumise a déposé une motion de censure contre le 49.3 déposé par le gouvernement pour faire cesser le débat sur le budget de la Sécurité sociale où il perdait, vote après vote, sur des amendements cruciaux déposés par l’opposition NUPES. À cette occasion a surgi un étrange débat sur l’utilité de déposer une motion de censure. Des questions ont été posées. J’en reprends l’essentiel ici.
Ne craignez-vous pas de banaliser la motion de censure à force d’en présenter ?
C’est l’inverse ! Faute d’en présenter, nous banaliserions le 49.3 comme une procédure banale. Mais il s’agit d’une brutalisation du Parlement sans équivalent dans les autres démocraties parlementaires. Avec le 49.3 banalisé, les macronistes veulent faire vivre l’illusion d’une « majorité présidentielle » capable de gouverner seule. Pourtant c’est une « minorité présidentielle » entièrement dépendante du soutien du RN ou de LR.
Vos alliés dans la NUPES n’ont pas signé la motion de censure avec vous. Est-ce délibéré de votre part ?
Nous préférons les signatures en commun. Nous avons d’ailleurs proposé de le faire. Nous n’avons déposé notre motion qu’après le refus de nos alliés de le faire en commun cette fois-ci. Mais notre préférence permanente est de le faire ensemble. Car alors nous sommes les plus nombreux et notre motion est présentée avant celle du RN grâce à cela. Cependant il ne faut pas dramatiser : les autres députés NUPES n’ont pas signé mais ils votent quasiment tous la censure avec nous. Quel serait le sens d’une opposition qui permettrait au gouvernement de nier le rôle du Parlement avec un 49.3 ? Que serait une opposition qui soutiendrait le gouvernement en refusant de le censurer ? Voilà pourquoi nous aimerions mieux que tous signent ensemble la motion de censure. Voilà pourquoi nous voudrions continuer le tour de rôle des présidents de groupe comme nous l’avons fait notamment avec les motions NUPES déjà défendues à la tribune successivement par les présidentes de groupe LFI puis EELV. Cette fois-ci c’était d’ailleurs le tour du groupe communiste sur le budget de la Sécurité sociale. Mais Fabien Roussel, le Secrétaire général de ce parti, n’a pas signé mais il n’a pas voté non plus la censure. C’est un soutien étonnant (et isolé au PCF) en faveur du budget de la Sécurité sociale de Macron.
N’est-il pas plus important d’agir tous de la même façon pour éviter de voir continuellement annoncer des divisions à la NUPES.
Ces annonces sont tellement systématiques ! Elles expriment un souhait et un espoir pour la presse des milliardaires davantage qu’une réalité. Voyez : quand nous agissons tous de même, cette presse rabâche alors que toutes les composantes de la NUPES se sont « soumises aux insoumis ». Puis si nous agissons de façon autonome les uns des autres elle annonce « la NUPES se divise ». Il s’agit d’une stratégie de pression sur la NUPES pour séparer LFI du reste de l’alliance, comme cela est fait ensuite pour essayer de diviser LFI en interne. Sang-froid de rigueur. Il ne faut pas se laisser manœuvrer. Pour l’instant et en dépit de mois de pression médiatique, les lignes n’ont pas bougé. Au contraire, le noyau unitaire de la NUPES s’est élargi et renforcé. Ses adversaires internes restent les mêmes : l’aile Hollande du PS, l’aile Jadot de EELV et Fabien Roussel. Pour les autres, rien n’a été observé qui change le tableau initial. Il y a une certaine logique de situation. EELV, PS et PCF n’ont pas voulu d’un groupe parlementaire unique. Chacun est donc autonome. Et LFI de même. Comme l’a dit Olivier Faure en réponse à une question de « Libération » : «Une coalition ce n’est pas un parti unique ». Pour lui, sans ambiguïtés, les divergences sur la tactique ne valent pas division de la gauche. Ce point de vue raisonnable est partagé par tous sans exception.
Mais ne craignez-vous pas l’usure et la fatigue dans une opération qui va se banaliser aux yeux du public ?
Précisément il va y avoir 14 dépôts de 49.3 ! Pourquoi banaliser une situation aussi incroyablement et insupportable en ne la sanctionnant pas ? Avez-vous bien regardé le tableau réel ? D’abord les députés discutent et votent en sachant que le 49.3 peut tomber à tout moment. Puis le 49.3 tombe au hasard de la discussion, des chapitres entiers ne sont pas débattus. Mais des amendements sont votés par centaines et des dizaines sont adoptés. Certes la plupart seront effacés selon le choix du gouvernement. Mais regardez bien. Que se passe-t-il ? Le gouvernement comptait sur la lassitude de l’opposition qui finirait soit par se diviser soit par cesser de déposer des motions de censure, soit de venir voter ses amendements pour rien. Et que se passe-t-il ? Primo c’est la minorité présidentielle qui se divise. Elle vote aussi parfois nos amendements comme sur l’outre-mer ou tout a été adopté avec l’abstention des macronistes présents (venus aussi faire un photo de groupe commune en fin de séance). Secundo les macronistes ne viennent plus en séance faire nombre pour empêcher les amendements NUPES d’être adoptés et préfèrent attendre chez eux que le 49.3 bloque tout et passe le balai. Résultat, nous faisons adopter des dizaines d’amendements et la violence de l’effaceur 49.3 est démultipliée puisqu’il sert à annuler des amendements adoptés en bonne et due forme par l’Assemblée nationale ! Sur le terrain, l’effet est garanti. Quand les Outre mers vont apprendre que Macron a fait supprimer tout ce qui avait été accordé à l’unanimité de l’Assemblée…
Notre stratégie du combat pied à pied est plus efficace que la stratégie du pourrissement mise en œuvre par le gouvernement. L’usure n’est pas là où elle était attendue. L’épuisement, l’exaspération, et la débandade ne sont pas là où le stratège de l’Elysée comptait la provoquer. On peut déjà parler d’un échec pour lui.
Mais faut-il présenter une motion de censure à chaque 49.3 sachant qu’il va y en avoir 14 ?
Étrange question. Que se passerait-il si nous ne le faisions pas ? Il n’y aurait qu’une motion de censure, celle du RN. Nous nous mettrions nous-même dans une impasse : soutenir le gouvernement ou voter avec le RN. Nous ne sommes pas assez stupides pour nous laisser enfermer dans une telle alternative ridicule.
Ne doit-on pas craindre le refus de voter la censure qu’ont choisi les douze députés PS trois EELV et Fabien Roussel ?
C’est une attitude consternante. Je rappelle de quoi il s’agit. La censure signifie que l’on refuse le piétinement du droit du Parlement au débat et à l’amendement. Et il signifie donc la volonté de faire cesser la politique du gouvernement qui fait le malheur de millions de familles et de la dévastation des services publics. C’est cela l’enjeu!
N’empêche qu’ils ne votent pas la censure pour ne pas voter avec le RN qui vote la motion de LFI.
Quelle aberration ! Sous prétexte de « refuser les voix RN » ils finissent en fait, sans oser le dire, par soutenir le gouvernement Macron en refusant sa chute. Cela ne tient pas debout. Ce n’est pas une stratégie pour le pays ni pour la lutte, mais juste une posture de congrès pour nuire à Olivier Faure et à la majorité du groupe PS qui a voté la censure. Ça ne sert que Macron qui reprend espoir de refaire le coup du débauchage qu’il avait réussi dans le précédent mandat avec Olivier Dussopt. La lutte pour mettre fin au régime macroniste, à la misère, à la faim, à l’allongement de l’âge de départ à la retraite mérite mieux que ces pauses verbeuses. C’est pourquoi nous comptons bien convaincre toute la NUPES de reprendre avec nous la noria des dépôts de motions signées par tous et défendues à tour de rôle par chacun des quatre groupes. Aussi bien nos alliés votent avec nous la motion de censure. Quel est l’intérêt de ne pas la signer ? De vote en vote, il se confirme au contraire aux yeux de tous que les macronistes sont une minorité à l’Assemblée, battue à d’innombrables reprises désormais, contrainte à la violence permanente du 49.3 et qui ne garde le pouvoir que grâce à l’aide de LR et d’une poignée de ceux qui ne votent pas la censure. En continuant sans faiblir notre bataille, le moment arrivera où LR devra assumer ou bien l’alliance avec les macronistes qui transforme son groupe en supplétif officiel ou le vote de censure. Il faut serre le casse-noix sans faiblesse.