Plusieurs mois après les États Généraux de l’Alimentation, l’Assemblée Nationale débat d’un nouveau projet de loi sur l’agriculture avec l’objectif annoncé d’améliorer les revenus des agriculteurs. Près d’un tiers d’entre eux, faut-il le rappeler, vivent ou plutôt survivent avec moins de 350€ par mois. A cette occasion, il me semble important de se remémorer deux séquences qui se sont déroulées il y a trois mois, assez révélatrices de la volonté politique de ce gouvernement passées les belles déclarations d’intention.
Flashback n°1
Samedi 24 février en visite au salon international de l’Agriculture le Président est pris à partie par un cheminot qui s’inquiète de la réforme à venir. Avec le ton abrupt qu’on lui connaît maintenant quand il s’adresse à ceux qui ne sont rien , Emmanuel Macron ose une comparaison hasardeuse « Je ne peux pas avoir d’un côté des agriculteurs qui n’ont pas de retraite et de l’autre avoir un statut cheminot et ne pas le changer ». Hasardeuse vraiment ? C’est en réalité une façon très habile de ménager les agriculteurs sans avancer de promesses concrètes tout en préparant l’opinion publique à l’agenda social à venir.
Opposer les français les moins bien lotis à ceux qui ont encore la tête hors de l’eau est une technique qui a fait ses preuves. « Salauds de privilégiés » qui peuvent encore s’acheter de la viande le dimanche. Soyons tous égaux dans la misère et la précarité , voilà notre futur avec ces gens !
On pouvait au moins espérer que les retraites des agriculteurs ne seraient pas utilisées comme simple faire-valoir des réformes-nécessaires-parce-que-vous-comprenez-messieurs-dames-y-a-la-dette. Sûr, Macron allait charger son gouvernement de s’emparer de ce dossier avec sérieux et conviction.
Flashback n°2
Moins de deux semaines après cette sortie était présenté au Sénat un texte de loi à l’initiative des parlementaires communistes sur la revalorisation des retraites agricoles. Ce texte avait été voté à l’unanimité de tous les groupes à l’Assemblée nationale puis adopté dans le même élan unitaire lors de son passage en commission sénatoriale mais pourtant il a été retoqué le 7 mars par la seule volonté du gouvernement qui a posé son véto comme l’article 44-3 de la Constitution lui en donne le droit.
Que disait donc ce texte pour provoquer un tel recul ? L’idée générale était de porter la retraite minimum de 75 à 85%, du SMIC, mesure qui aurait dû grandement bénéficier aux femmes exploitantes qui ont bien souvent les plus petites retraites. Il est vrai que la proposition préconisait le financement de cette augmentation par une taxation de la spéculation boursière, une idée hérétique pour la Start Up nation.
Comme toujours avec les propositions émanant d’autres groupes, le gouvernement proposait de revoir cette proposition plus tard, selon son propre agenda. Le salon de l’Agriculture était passé, il devenait plus urgent de s’occuper du statut des cheminots que de la fameuse retraite des agriculteurs. En attendant ceux-ci ont de plus en plus de mal à faire face, au point que le taux de suicide dans le monde agricole est supérieur de 20 à 30% au reste de la population.
A dire vrai, il y eut un troisième mouvement. Dans le cadre de leur nouvelle niche parlementaire, le groupe CRCE (Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste) a représenté son texte devant le Sénat le 16 mai dernier.
Est-il vraiment nécessaire de détailler ce qu’il en est advenu ?
L’histoire ne dit pas si Emmanuel Macron est fan de Jacques Dutronc, mais après avoir fait chanter « je retourne ma veste » à une grande partie de la classe politique l’année dernière, notre président et son orchestre marchent dorénavant sur l’air de « J’y pense et puis j’oublie » comme l’atteste l’actualité récente et les reculs sur le glyphosate ou la part des logements accessibles aux handicapés.