Tant que la pêche au hareng existera…

Port de Concarneau France 25 09 2020. (Photo Fred TANNEAU / AFP)

Chouette, bientôt la fête du hareng ! Peut-on le croire ? Cet événement est un rendez-vous millénaire ! On retrouve la trace de sa création en 1088, lorsque Robert II, fils de Guillaume le Conquérant, autorise une foire annuelle « qui durera tant que la pêche au hareng existera ».

Le hareng, poisson-roi, a fait la renommée et la fortune de Fécamp autant que la morue. Aujourd’hui, l’entreprise SEPOA-Delgove et ses 20 salarié.e.s perpétuent la tradition de la transformation du hareng.
Mais qui pêche le hareng  travaillé dans cette entreprise ? C’est le Scombrus, navire-congélateur géant de 81 mètres. Armé par France Pélagique, le Scombrus a tout l’air d’un navire français autant que son pavillon. Ce n’est qu’une apparence car France Pélagique est une filiale de l’empire néerlandais de Cornélius Vrolijk. Ce tour de passe-passe permet de récupérer des quotas de pêche français.

Le Scombrus déroule son filet pélagique en Manche en octobre et novembre, dévastant d’autres eaux le reste de l’année. Le chalut pélagique est un outil très controversé : il n’est pas assez sélectif et emporte tout sur son passage y compris des espèces protégées (90 % des dauphins échoués proviennent d’une capture accidentelle par des engins de pêche).

Revenons à notre hareng qui est congelé à bord. Bien qu’étant pêché tout près de Fécamp, il ne peut pas y être débarqué, car le port ne possède pas de congélateurs adaptés. Il voyage jusqu’à Ijmuiden, aux Pays-Bas puis rejoint Fécamp… par la route en camion. Pensez-y la prochaine fois que vous dégusterez les  « excellents produits de la pêche française » élaborés chez SEPOA.

Et que dire de l’équipage du Scombrus ? Pour financer la construction du navire et obtenir les autorisations de pêche, France Pélagique a procédé au licenciement économique de l’équipage du Label Normandy et vendu le bateau.

Le Scombrus a provoqué lors de son baptême à Concarneau le 25 septembre 2020, une très grosse manifestation, à l’initiative des associations Bloom et Pleine Mer : « les funérailles de la pêche artisanale et des ressources marines ». Des pêcheurs venus de toute la France s’y sont déplacés, malgré les menaces préfectorales . Le Scombrus est qualifié par eux d’ « arme de destruction massive ».
En effet, il pêche en moyenne 120 tonnes par jour, et même jusqu’à 200 tonnes de maquereaux, chinchards, merlans, sardines et bien sûr harengs. C’est plus qu’un bateau artisanal de moins de 12 mètres (60 % de la flotte de pêche) en une saison entière. Les artisans marins-pêcheurs ne peuvent-ils donc pas compter sur l’office national des pêches pour prendre leur défense ? Ah, pas de chance, un des vice-présidents, jusqu’à récemment était Antoine Dhellemes. Il a été directeur de France Pélagique jusqu’en 2018 avant de laisser son fils Geoffroy reprendre le flambeau. Et ces gens ne sont pas du genre à cracher dans la soupe.

Alors, je vous le demande, si nous laissons ainsi détruire la ressource halieutique, jusqu’à quand la pêche au hareng existera-t-elle ? Les générations futures auront-elles encore le plaisir de participer à la fête fécampoise millénaire ?

Oui, mais à condition, pour préserver les ressources et les humains, de prendre les mesures politiques qui s’imposent et que présente l’Avenir en commun :

– Interdire aux chalutiers géants et autres navires-usines de piller les eaux françaises

– Requalifier la pêche artisanale : un patron ou une patronne embarqué.e, sur un bateau de moins de 12 mètres utilisant des engins dormants (immobiles ou en dérive)

– Mettre en place des comités des pêches avec des artisan.e.s élu.e.s

– Délivrer des autorisations de pêche selon des critères transparents

– Assouplir les contraintes associées à la vente directe pour les artisan.e.s

Avec cette bifurcation nécessaire, nous pourrons profiter de la fête du hareng cette année et toutes les autres

Sylvie Bizien

Sources
bloomassociation.org
pleinemer.com
Reporterre 26/3/2020
Brut 01/10/2020
Ouest France 26/09/2020