Je me fais le relais de cette lettre ouverte publiée par Alexandre Duclos, enseignant, chercheur, adressée aux lycéen.ne.s mais plus spécifiquement à celles et à ceux à qui l’on va fermer la porte des universités, qui ne pourront pas bénéficier de leur droit à l’éducation, qui n’accéderont pas à l’éducation supérieure, en bref, à celles et ceux qui ne seront pas sélectionné.e.s.
Vous êtes en droit de vous demander pourquoi un certain nombre de citoyen.ne.s, personnels des universités, étudiant.e.s, salarié.e.s, sans-papiers se mobilisent depuis la fin de l’année 2017 pour vous, en votre nom, contre les réformes imposées par la loi ORE et le dispositif Parcoursup défendus par la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal. Voici, parmi d’autres, certaines des raisons qui nous poussent à nous mobiliser pour vous. Avant Parcoursup, vous étiez en droit de considérer le Bac comme votre premier diplôme universitaire, comme un passeport vers un avenir qu’il vous revenait de construire.
Aujourd’hui qu’il ne vous garantit plus un accès à l’Université, le Bac n’est plus ce passeport vers l’enseignement supérieur mais la simple sanction de la fin de vos années lycées. Ce dispositif qui se présente comme providentiel et nécessaire, outre que ce soit pour l’instant une véritable machine à gaz, vient très simplement écraser la valeur du diplôme que vous préparez. C’était le premier diplôme du supérieur, cela deviendra, si nous laissons faire le gouvernement, le dernier bulletin de la vie lycéenne. Aujourd’hui nous tentons, autant qu’il est nous, de défendre votre droit d’accès inconditionnel aux études supérieures, en fonction de vos choix.
Cette notion de choix est d’ailleurs directement attaquée par Parcoursup puisque, comme vous le savez, ce dernier ne hiérarchise pas vos choix mais agglomère un ensemble d’options indifférenciées. Dans les éléments de langage du gouvernement, on tente de faire passer la sélection pour une « meilleure orientation », et on refuse le mot de sélection toute en affirmant que la sélection est un bon principe.
Force est de constater que dans toutes les universités, il est demandé aux enseignants de classer les dossiers, à la va vite, à coup de filtres de classements et de coefficients, afin de sélectionner les « meilleurs dossiers». Cela, c’est de la sélection, quoi qu’on essaye de vous faire croire.
Certaines universités, certains UFR refusent cette sélection. Ils proposent d’accepter autant d’étudiants qu’il y a de demandes. En faisant cela, ils posent un acte de résistance tant la demande dépasse le nombre de places disponibles. Quand le département d’Histoire de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne reçoit 3000 demandes pour 620 places, ils réclament explicitement des moyens pour qu’on puisse accueillir les 3000 demandeurs, plutôt que de se contenter de la précarité actuelle.
En janvier 2017, Thierry Mandon alors secrétaire d’état à l’enseignement supérieur envisageait les besoins en investissement dans le supérieur à 3 milliards d’euros d’ici 2020. Mme Vidal et le gouvernement en propose le tiers sur toute la durée du quinquennat. C’est dommage, en effet puisque selon l’OFCE, la dépense envisagée par Thierry Mandon serait « en outre plus que rentable en termes de croissance et d’emplois, d’après l’enquête réalisée spécialement par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), annexée au livre blanc. Cet effort conjugué d’accroissement des qualifications et de dépenses de recherche et développement engendrerait un taux de croissance du PIB de dix points – soit 220 milliards d’euros – à l’horizon 2047. Quant à l’emploi, l’OFCE évalue à 400 000 le nombre de personnes qui deviendront ainsi protégées du risque d’« inemployabilité » – c’est-à-dire de l’inactivité ou du chômage – dû à la robotisation des processus productifs et au développement de l’intelligence artificielle 1». Eh oui, miser sur vous, c’est rentable ou plutôt, c’eût été rentable. Mais puisque l’on parle chiffres, parlons de ceux qui fâchent vraiment.
Vous serez cette année environ une dizaine de milliers puis 30 000 par an à être rejetés des universités -ou non sélectionnés, ou encore, pour parler la langue officielle, réorientés-. En 2024, année des J.O à Paris, soit 6 rentrées après la mise en place de la loi ORE et de Parcoursup, on peut donc avec quelque assurance prévoir que 180 000 d’entre vous auront été privé de leur droit à l’éducation. 300 000 en 2028. Parmi ces 300 000 jeunes gens, c’est à dire parmi vous, combien auront les moyens de se (faire) payer une école privée ?
Combien d’entre-vous seront impactés dans leur accès à l’emploi, dans leur capacité à s’insérer dans le marché du travail, dans le niveau de leur premier salaire ? Ce que le gouvernement vous propose, c’est de vous contenter de votre Bac, d’accepter votre situation et le fait que l’état n’estime pas nécessaire ou rentable d’investir sur vous. Pour eux, vous n’êtes pas le futur de leur France. Ce sous investissement dans votre avenir (et de manière plus générale dans les universités) aura, ne nous le cachons pas, des conséquences sociales, en termes de chômage, de précarité et tous les maux qui accompagnent chômage et précarité, dépression, alcoolisme, délinquance.
Tout aussi prosaïquement, avoir une population proportionnellement moins éduquée aura naturellement un impact sur la croissance et la prospérité du pays. Nous pouvons donc le confesser à présent, notre démarche n’est pas si altruiste que cela parce que nous avons pleine conscience de ce que notre bonheur futur dépend du votre.
Votre avenir, c’est le nôtre. C’est aussi pour cela que nous nous mobilisons pour vous. Vous pourriez légitimement avoir l’impression que vous faites aujourd’hui les frais d’une politique brouillonne et autoritaire, menée à la hussarde -et encore, Parcoursup n’a pas fini de dysfonctionner-. Mais il y a là un effet d’optique. La loi ORE s’inscrit dans une longue file de réformes qui institutionnalisent la précarité étudiante, la sélection et la déconstruction de la loi Faure qui actait le projet national d’une université pour tous, en tous les cas, a minima, pour les bacheliers et bachelières. Il y a aussi un gouvernement qui rabâche des arguments intenables mais hélas pas assez contredits. Exemple type de mauvais argument : APB, c’était le tirage au sort et le tirage au sort, c’est injuste.
Très bien, mais la sélection ajoute une injustice à l’injustice. Auparavant, chacun avait le même droit d’accès au supérieur mais certain.e.s étaient orienté.e.s de manière arbitraire, par tirage au sort, loin de leur premier choix. Maintenant, sans que chacun ait la garantie de son premier choix, certain.e.s étudiant.e.s sont privés de droit à l’éducation. Superbe progrès.
Autre argument, il y aurait 60 % de taux d’échec en première année dans les universités françaises. Ce chiffre est largement contestable puisqu’en effet il agglomère les personnes qui quittent l’université (et elles en ont bien le droit, une année, c’est déjà mieux que rien), celles qui se réorientent et celles qui redoublent. Mais le problème n’est pas là. Si les élèves échouent à ce point, c’est nécessairement que la responsabilité de cet échec est largement imputable aux universités (manque de moyens pour le suivi, manque d’enseignant.e.s, salles surchargées, matériels défectueux, locaux en mauvais état, enseignant.e.s démotivé.e.s, surchargé.e.s). Au lieu de corriger ces défauts, on décide de limiter le nombre d’entrants.
Ce gouvernement maintien la misère à flot et fait le choix de vous exclure, parce que c’est plus simple, parce qu’il ne comprend pas la notion de droit pour tous à l’éducation et parce que cela permet de correspondre aux critères de la commission européenne (limiter le déficit public en dessous de 3%), tout en faisant des cadeaux aux personnes les plus riches du pays. La suppression de l’ISF coûtera à l‘état 3,5 milliards d’euros, soit un investissement qui aurait pu servir à vous accueillir dans de bonne condition. Ah ça, les riches resteront en France, au milieu d’une population moins éduquée et plus pauvre. Voici les lendemains qui chantent de la France macronienne.
Alexandre Duclos, Docteur en Sociologie Docteur en philosophie Diplômé de l’IEP Paris Chargé de cours à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne