Ne nous habituons pas au « brun » ambiant qui teinte notre pays

« Le moment brun doit être repoussé par l’action », tel est le titre de la nouvelle note de blog de Jean-Luc Mélenchon.

A la lecture de la note de blog, cette nouvelle, étudiée en classe avec des élèves de première, a immédiatement ressurgi de ma mémoire.

Matin Brun de Franck Pavloff.

Franck Pavloff, né en 1940, est un écrivain français. Il s’est fait connaître surtout grâce à sa nouvelle Matin brun – succès rapide et international, traduction en 25 langues et 1 million d’exemplaires.

Le contexte d’écriture est important.
Il décide d’écrire cette nouvelle sur un coup de colère, lorsqu’en 1998, lors des élections régionales, la droite s’allie au Front National pour remporter la présidence de certaines régions.

En 2002, 4 ans plus tard, lors des élections présidentielles, Jean-Marie Le Pen, accède au second tour. Aujourd’hui, en 2022, nous sommes « habitués » à voir le RN accéder au second tour de la présidentielle, avec Mme Le Pen, mais à l’époque, la nouvelle a provoqué un séisme de conscience.

C’est donc en 2002, que Matin brun, va connaître une seconde vie. Cette très courte nouvelle va devenir un véritable best-seller car elle incarne la lutte contre le racisme et l’intolérance, souvent incarnés par le Front National.

La nouvelle raconte la mise en place d’un « état brun » et de « lois brunes », où tout ce qui n’est pas brun est banni. Ce court récit, une fable à la manière de La ferme des animaux de George Orwell, montre comment un régime totalitaire peut s’installer sans qu’on y prenne garde. La censure est au cœur du récit.

Quel est le sens de la couleur brune ?
Elle renvoie à l’idée de saleté de prime abord, mais elle renvoie aussi à des références historiques telles que « la peste brune », le nom donné au nazisme pendant la seconde guerre mondiale et aux « chemises brunes », nom donné aux SA (section d’assaut nazie) en raison de la couleur de leur uniforme.

Quelle est cette œuvre ?
Matin brun, est un texte très court, une dizaine de pages à peine.
L’incipit « in media res », nous immerge directement dans l’action. Le lecteur est projeté directement dans « l’Etat brun » et découvre dès la première page, sa première loi : les chats et les chiens qui ne sont pas bruns doivent être piqués ou empoisonnés parce que des « décrets scientifiques » ont démontré que seuls les bruns étaient adaptés.

Le texte est une succession de paragraphes qui racontent la mise en place des nouvelles « lois brunes ».

D’abord l’interdiction du Quotidien de la ville qui contredit les recherches et les lois de l’Etat.

Puis vient l’interdiction des livres qui ne contiennent pas les mots « bruns » et « brunes » après « chat » et « chien ».

Et enfin, l’arrestation des personnes et des membres de leur famille qui auraient possédé un animal pas brun, même avant la promulgation de la loi.

Les événements qui pourraient se dérouler entre chaque paragraphe sont passés sous silence et le temps entre chaque paragraphe est de plus en plus court. Le rythme est de plus en plus rapide.

A la fin de la nouvelle, le narrateur entend frapper à sa porte : va-t-il se faire arrêter lui aussi comme son ami Charlie ?

Quel est le message de l’auteur ?
Je me souviens des réactions et remarques, en classe, de quelques élèves.

« Mais tout ceci fait partie du passé ! »

« Pourquoi continuer à écrire sur la montée des régimes totalitaires aujourd’hui ? »

« C’est fini depuis longtemps, cela ne nous concerne plus ! »

Mais nous savons aujourd’hui, plus qu’hier encore, qu’il n’en est rien.

Ce sujet est en réalité brûlant d’actualité.
L’Etat brun incarne le spectre d’une idéologie nationaliste et fasciste qui planait au-dessus de la France au moment de l’écriture de cette nouvelle. Et cette menace nous hante encore, en 2022. Il est même possible de dire qu’elle se concrétise petit à petit.

Peu de voix s’élèvent aujourd’hui, dans notre pays, pour dénoncer le racisme, l’intolérance envers tous ceux qui ne sont pas de la même couleur. Le député Carlos Martens Bilongo en a très récemment fait les frais au sein même de l’Assemblée nationale. Les attaques d’extrême droite se multiplient dangereusement dans notre pays.

Dans ce récit, l’auteur s’oppose à certains extrémismes politiques dangereux. Il décrit un système intolérant, où l’on interdit :

– les outils d’expression du contre-pouvoir (le journal dénonce la suppression des chats et des chiens, les livres). Pouvons-nous rappeler, qu’à l’heure actuelle, la concentration des médias entre les mains de quelques milliardaires pose un sérieux problème de pluralité des opinions dans notre pays !

– de penser ou d’agir en dehors du cadre établi. En sachant qu’aujourd’hui la destruction voulue de l’école publique va nous empêcher de former des êtres pensants et agissants.

Il décrit un système où l’on risque la prison pour ne pas avoir respecté des lois injustes et stupides.

L’auteur nous avertit sur les dangers d’un système totalitaire et dictatorial.

Il nous exhorte à l’action et à l’engagement.

Avons-nous suffisamment conscience où risquent de nous mener les petites lâchetés de chacun d’entre nous ?

Une dizaine de pages suffisent à nous rappeler que la mise en place insidieuse d’un Etat totalitaire et raciste peut être très rapide ou à poison plus lent…sans que personne ne réagisse !

Une dizaine de pages qui nous sensibilisent sur les dangers des dérapages politiques !

Une dizaine de pages que n’importe qui peut lire très rapidement, n’importe quand, n’importe où !

Si chaque personne, individuellement, ouvrait les yeux et se montrait plus courageuse, notre monde serait sans doute bien différent.

« Je n’ai rien dit »

Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas communiste
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas syndicaliste
Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas juif
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas catholique
Et, puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait plus personne pour protester

1942, Dachau – Pasteur Martin Niemöll