Réduction du temps de travail : être heureux et en harmonie !

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Le débat sur la réforme des retraites est une question emblématique de justice sociale.

C’est une invitation à repenser collectivement notre rapport au travail, alors que ce gouvernement rabougrit tout, tout le temps dans un invraisemblable mépris des travailleurs, les ramenant à de simples consommateurs. La retraite, c’est du temps récupéré, ce temps de vie est social, politique, il est aussi écologique.

Aymeric Caron est l’auteur du livre Utopia 21 publié aux éditions Flammarion en 2017. Un ouvrage, présenté comme une mise à jour du travail de Thomas More* dans lequel est affirmé l’urgence d’une société organisée autour de l’écologie antispéciste**, pacifiste et solidaire où est proposée notamment la réduction massive du temps de travail.

En quoi la réforme des retraites de Macron et la réduction du temps de travail sont aussi des questions d’écologie ?

Parce que, travailler est directement lié à l’exploitation des matières premières.

Si l’on décide aujourd’hui, car il y a urgence, de mettre en place la règle verte  » ne pas prendre à la nature plus que ce qu’elle peut reconstituer », cela veut dire que l’on va forcément extraire moins de matières premières, donc produire moins et finalement moins consommer. Les deux étant corrélés.

Parce que, travailler beaucoup par mimétisme, par prisme économique ou par idéologie, avec comme simple objectif de s’enrichir le plus possible, engendre le besoin d’avoir une armée de travailleurs soumis aux saccages des ressources naturelles.

L’idée de travailler beaucoup n’a en fait aucun sens économique.

Aujourd’hui le projet écologique doit s’organiser autour de la notion du bonheur et de l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature.

« L’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. Quand je dis harmonie, j’en parle comme de la musique, de cycles. Il faut que les cycles du prélèvement humain s’adaptent aux cycles de reproduction de la nature. »

Jean-Luc Mélenchon avril 2021 #Meeting eau

Il faut repenser effectivement cette question : c’est quoi être heureux ? Ce n’est pas juste d’être heureux en fin de vie !

Donc la question des retraites est importante en effet, mais il faut la repenser globalement. Limiter le débat à l’idée que le travail en tant que tel est constitutif de notre identité et donc d’organiser notre existence uniquement autour de cette notion arbitraire du « travail = bonheur » est une posture de moralité des dominants. En repoussant l’âge de départ à la retraite, le gouvernement veut nous imposer un prisme purement idéologique, le réflexe d’une caste qui a pour seul objectif et intérêt de nous faire travailler le plus possible pour s’enrichir.

Autant à une époque où nous n’avions pas encore toute la mécanisation du progrès technique, où l’on se déplaçait, démunis, passant énormément d’heures à rechercher notre nourriture, à organiser les premières communautés humaines, le travail était vital en tant que chasseurs cueilleurs !

Mais aujourd’hui avec des gains de productivité considérables réalisés sur le dos des travailleurs, la robotisation, la productivité du digital avec l’intelligence artificielle, ces progrès techniques que réalisent nos sociétés riches ne nous obligent absolument plus à passer nos semaines à travailler. Ce diktat qui veut nous être imposé aujourd’hui est autoritaire et insupportable, il date d’une autre époque.

Keynes*** , économiste on ne peut plus sérieux avait écrit en 1930 qu’il prévoyait qu’en 2030 il suffirait de travailler 15h heures par semaine grâce aux gains de productivité !
Il avait raison mais il n’avait pas prévu la financiarisation à outrance de l’économie.

Les sociétés riches, opulentes comme la nôtre, aujourd’hui produisent suffisamment pour faire en sorte de pouvoir être heureux avec une quantité de travail qui ne dépasse pas les 32 h/semaine.

Il y a un sens de l’histoire qui nous entraîne vers la réduction du temps de travail. C’est à la fois un objectif historique et la politique la plus juste, la plus efficace et la moins coûteuse contre l’usure des salariés et le sous-emploi. C’est aussi un enjeu de planification écologique : il est urgent de réduire le nombre de trajets vers son lieu de travail et d’augmenter le temps individuel dédié à d’autres activités (AEC).

Au début du 19e siècle, on travaillait jusqu’à 15h par jour et 6 jours sur 7, à cette époque les enfants travaillaient encore !

Pour la première fois en France, le 22 mars 1841, une loi est votée sur le travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers qui instaurait l’âge minimum pour travailler à 8 ans dans les entreprises de plus de 20 salariés.
La journée de travail sera limitée à 8 h pour les 8-12 ans, et 12 h pour les 12-16 ans, ce travail ne pouvant avoir lieu « que » de 5 h du matin à 9 h du soir.

Puis le temps de travail par semaine, est passé à 40 h en 1936 et viennent ensuite les 39 h puis les 35 h dans les années 2000. On voit bien qu’il y a quand même un sens assez logique à la diminution. Réalité obtenue à force et grâce aux luttes des travailleurs.

Adopter ce projet de réforme des retraites funeste, c’est repartir en arrière. Toujours cette idée morale que ce n’est pas bien de ne pas travailler dur et longtemps. Déjà les 35 h ont été détricotées, nous travaillons en moyenne 38,5 h/semaine. En plus de l’injustice de ce projet, c’est aussi la notion extrêmement importante de temps libre qui est posée, ce temps libéré.

Aujourd’hui on ne s’occupe pas très bien de ses enfants, de sa famille, souvent on la voit trop rapidement, on se croise… Si nous avions plus de temps libéré, nous pourrions remédier à cela, nous pourrions faire du travail pour le collectif, l’associatif.

Reconsidérer le mot et la notion de loisir est très important, avoir des activités qui nous ouvrent au collectif. S’impliquer dans un vrai travail de démocratie car en réalité nous ne sommes pas complètement des citoyens, souvent par manque de temps. Être un citoyen et pourquoi pas s’engager sur un mandat, c’est être informé de l’actualité, c’est connaître les textes de lois pour avoir un vrai avis sur ces sujets, c’est pouvoir passer le temps qu’il faut à s’informer pour comprendre le monde. Aujourd’hui nous déléguons soit disant à des experts qui ont tout intérêt à ce que nous ne soyons pas correctement informés, nous rendant ainsi infirmes à la démocratie sur des questions qui nous concernent pourtant directement.

C’est donc aussi un enjeu démocratique que de libérer du temps effectif en passant à 30 h à 28 h et ainsi de suite, pour tout simplement inventer une autre société !!


*Thomas More 1478-1535 Humaniste de la Renaissance, érudit, ami d’Erasme Il est un homme d’envergure et de pouvoir Il fut grand chancelier d’Angleterre : à la cour du roi Henri VIII il demeure en tant qu’auteur de l’Utopie une icône pour les communistes.

**L’antispécisme est un mouvement philosophique selon lequel l’espèce à laquelle appartient un animal ne doit pas fonder la manière de le considérer ou de le traiter. Les antispécistes estiment que tous les animaux, humains compris, sont d’égale importance, que leur sensibilité et leurs souffrances doivent être prises en compte. Ce mode de pensée conteste la forme de discrimination qui vise à placer l’homme au sommet de l’ensemble des espèces du monde vivant.

***L’ouvrage le plus célèbre de Keynes est sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) qui est à l’origine de la macroéconomie moderne. Keynes y récuse l’idée alors dominante qu’une économie de marché se régule spontanément pour atteindre le plein emploi de ses ressources. Pour les keynésiens, l’intervention de l’État par des politiques qui visent à atteindre le plein emploi et la stabilité des prix est justifiée. Keynes soutient qu’une demande globale insuffisante risque d’aboutir à de longues périodes de chômage élevé.