Un petit point sur le roman de Margaret Atwood s’impose.

La cinquième saison de la Servante écarlate est sur le point de se terminer et nous savons que cette série a pris bien des largesses avec le roman d’origine.
 Un petit point sur le roman de Margaret Atwood s’impose.
L’auteur elle-même disait : « Certains romans hantent l’esprit du lecteur, d’autres celui de l’auteur. La servante écarlate a fait les deux. »
 
Même avant la sortie de la série, le livre n’a jamais cessé d’être publié depuis sa parution en 1985. Il est devenu une référence pour ceux qui écrivent à propos d’évolutions politiques visant à prendre le contrôle des femmes, surtout celui de leur corps et de leurs fonctions reproductives.
 
A la publication (1985 au Canada, 1986 au Royaume Uni et Etats-Unis), les réactions sont perplexes et parfois angoissées.
Le roman a été banni de certains lycées, il a inspiré des blogs où l’on « discute de la répression des femmes comme s’il s’agissait de recettes de cuisine ». Certaines d’entres nous se costument en servante pour Halloween.
 
Il y a eu plusieurs adaptations du livre à la scène et à l’écran : le film de Volker Schlöndorff et un opéra de Poul Ruders.
 
Mais qu’est-ce que cela signifie pour la société d’aujourd’hui ? Est-ce un divertissement ou une sombre prophétie politique ? Ou les deux ?
 
De son aveu, M. Atwood n’avait pas imaginé cet engouement en écrivant son roman.
Elle a commencé l’ouvrage au printemps 1984, elle habitait Berlin-Ouest, encore encerclé par le mur. Le titre au départ, était Offred (la servante principale de l’histoire).
Elle a changé le titre en cours de l’écriture, mais ce titre originel, montrait bien le rôle essentiel de Defred dans la narration : transcriptions des enregistrements réalisés par cette servante, son processus d’endoctrinement dans la nouvelle société, et ses expériences vécues en tant que servante de l’un des commandants de la société.
 
Defred raconte son histoire à la première personne, décrivant la vie quotidienne déchirante et répressive d’une servante. Son récit est entrecoupé de flashbacks de son existence d’avant Gilead.
 
La question pertinente, encore aujourd’hui, est : combien de temps avant que cela n’arrive ?
Les histoires à propos du futur partent toujours d’une question du type : que se passerait-il si ?
Si vous voulez vous emparer du pouvoir, abolir la démocratie libérale et instaurer une dictature, comment vous y prendriez-vous ?
D’après M. Atwood, les nations ne construisent pas des formes de gouvernement radicales sur des fondations qui n’existent pas déjà.
 
C’est là que nous devons demeurer plus vigilants que jamais. Toutes les bases sont déjà posées. Ainsi, la fonction profonde des Etats-Unis, n’est pas l’ensemble des constructions des Lumières du 18ème siècle, avec les discours sur l’égalité et la séparation de l’église et de l’Etat, mais la brutale théocratie de la Nouvelle Angleterre puritaine du 17ème siècle, avec ses préjugés contre les femmes.
 
Une période de chaos social suffirait pour que toutes ses idées se réaffirment ? (Si ce n’est déjà fait ?)
Comme toute théocratie, elle sélectionnerait quelques passages de la bible pour justifier ses actions et elle pencherait fortement vers l’ancien testament plutôt que vers le nouveau. Les classes dirigeantes s’assurant toujours d’obtenir les biens et les services les plus rares. Un des axiomes du roman étant que la fertilité dans l’Occident industrialisé est menacée, alors qui aura des enfants, qui aura le droit de les prendre pour soi et de les élever ? Enfin, pour que cela devienne « tenable », « supportable », il y a forcément une organisation secrète et même une route clandestine qui permette les évasions.
 
A l’écriture, M. Atwood s’était fixé une règle : ne rien inclure que l’humanité n’ait pas déjà fait ailleurs ou à une autre époque, ou technologie qui n’existerait pas déjà.
 
Elle ne voulait pas se faire accuser de « sombres inventions tordues, ou d’exagérer l’aptitude humaine à se comporter de façon déplorable ». Les pendaisons en groupe, les victimes déchiquetées par la foule, les tenues propres à chaque caste et à chaque classe (voir les débats très récents sur la tenue de nos députés insoumis à l’été 2022), les enfants volés par les régimes et remis à des officiels de haut rang, l’interdiction de l’apprentissage de la lecture, le déni du droit à la propriété…
 
Tout cela a des antécédents. Et une bonne partie se rencontre non pas dans d’autres cultures ou religions, mais dans la société occidentale, au sein même de la « tradition chrétienne ».
 
Avec l’engouement pour la série, on a souvent qualifié la servante écarlate de dystopie féministe. Mais le terme n’est pas vraiment approprié.
 
Dans une dystopie féministe, tous les hommes auraient des droits bien plus importants que ceux des femmes. Une structure à deux couches : la supérieure pour les hommes, l’inférieure pour les femmes.
Mais Gilead est une dictature de type classique : un modèle de pyramide avec les plus puissants des deux sexes au sommet, puis des strates de pouvoir et de prestige décroissants, mêlant toujours hommes et femmes, jusqu’au bas de l’échelle où les hommes célibataires doivent servir dans l’armée avant de se voir attribuer une éco femme.
 
Les servantes elles-mêmes forment une caste au sein de la pyramide : considérées comme précieuses pour ce qu’elles sont capables de fournir, leur fertilité, mais intouchables autrement. En posséder une est une marque de statut élevé, de même que posséder de nombreux esclaves ou domestiques à une certaine époque.
 
Comme ce régime fonctionne sous l’apparence d’un strict puritanisme, ces femmes ne sont pas considérées comme un harem destiné à prodiguer du plaisir en même temps que des enfants. Elles sont fonctionnelles plus que décoratives.
 
Pour conclure, il semble évident que la série nous impose des choix visuels et des réinterprétations, un consensus au sujet d’un roman qui oscillait entre passé et futur pour bien montrer l’évolution des lois et des mœurs et qui demandait et provoquait une réflexion approfondie.
 
Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui les deux sont devenus incontournables. Lire et voir, comme les deux faces d’une pièce de monnaie.