Victoire à l’Assemblée pour réussir celle de la rue

Jean-Luc Mélenchon 24 février 2023

Pas moins de quatre « unes » de médias hostiles m’ont été consacrées depuis la fin du débat à l’Assemblée sur la retraite à 64 ans. Les articles qui s’y rapportent ne nous apprennent rien, sinon une nouvelle crise de rage des éditorialistes. On retrouve l’ambiance de la présidentielle où le flot des sarcasmes et des piques avait été déjà abondant (mais efficace pour me priver de 400 000 voix qui me séparaient du second tour). Aucun argument nouveau, ni contre moi, ni contre la stratégie des Insoumis. Tout est rigoureusement identique depuis dix ans. Jusqu’à la posture du sondeur qui, comme il y a dix ans, décrète que je suis un « handicap pour la gauche » (autre fois il disait « un boulet »). Tout cela repose sur une enfilade d’illusions pourtant démenties par notre résultat électoral de 2022. D’abord ils se croient en état de nous (me) diaboliser dans la classe moyenne sachante. Ensuite, il leur faut que personne ne comprenne la nature du dernier « crime » qui m’est reproché. Deux cibles manquées par les rageux. Je résume donc mon appréciation.

Toute charge médiatique contribue au succès de la stratégie de la conflictualité. Ceux qui me haïssent continuent à le faire et leur comportement devient assez caricatural pour provoquer le recul des mieux sachants. Tous les autres s’instruisent d’une crise à l’autre et multiplient les vaccinations contre les divers variants de venin. Il faut faire dégorger les médias. Surtout pendant les années où il n’y a pas d’élection pour que les nôtres soient vaccinés. La mobilisation de ces figures d’éditorialistes que tout le monde déteste dans la gauche populaire joue à mille pour cent en notre faveur. Quant au dernier crime qui m’est reproché « L’Obs » l’a résumé dans un sanglot éploré : je suis accusé d’avoir « enlisé le débat » à l’Assemblée. Naturellement c’est une façon de réduire le rôle de mes amis à rien, comme le montraient les vociférations des macronistes à la lecture du « tweet de Mélenchon ». Naturellement, ce n’est pas la réalité. Mais elle me confère une importance et un rôle qui est une nouveauté : l’absent présent en moins de 140 signes. C’est absurde. 

Mais quand bien même ! Tout cela suppose que nos électeurs ne veuillent pas de cet enlisement et qu’ils aient hâte d’être battus et de partir au ski comme un éditorialiste ou un bureaucrate. Ce n’est pas le cas. Cela suppose aussi que les gens ne devinent pas que les Insoumis ont déjoué un arrangement caché à propos de ce vote battu d’avance à l’article 7. Ce n’est pas le cas. Cela suppose que les gens aient adoré la tactique des auteurs des journées d’action de la fin de 2022 et qu’ils aient confiance dans leurs aptitudes stratégiques. Ce n’est pas le cas. Cela suppose que les gens aient oublié que les 2 dirigeants syndicaux sur huit qui accablent notre tactique sont les mêmes qui réclamaient le « chacun chez soi » des politiques et des syndicalistes sans être allergiques à la mauvaise foi. Ce n’est pas le cas. Cela demande que les syndicalistes adhérents de ces deux centrales soient à l’unisson avec leurs porte-paroles nationaux sur ce sujet. Ce n’est pas le cas. Et ainsi de suite. Enfin ceux qui cherchent la faveur des éditorialistes et commentateurs se trompent du tout au tout. Ils ne comprennent pas la logique marchande qui gouverne la conscience de ces gens. Leur but est le buzz pour lui-même. Dans le sens du patron ? Oui, mais pas seulement. Une fois passé les articles de commande pour se débarrasser du boulot avant le départ en vacances, ils reviendront à ce qui s’observera pour de vrai : l’insurrection citoyenne du 7 mars. Leurs clients sont dans les rues… Et là est l’essentiel. 

De leur côté, les macronistes mis en déroute à l’Assemblée s’activent avant la dissolution annoncée par leur chef pour réorganiser le champ politique autour d’eux, à temps. Siphonner la droite en se la partageant avec Le Pen d’une part. De l’autre faire renaitre un « centre gauche » macrono-compatible à sa main, capable de quitter la NUPES pour un ample front républicain « face au RN ». Même pas original. « Le Parisien » a donc donné une pleine page à Bernard Cazeneuve pour annoncer le troisième lancement de sa « fédération de gauche social-démocrate, « laïque », « républicaine », notariale, polie et bien habillée. Aussitôt on apprit que des groupes se formaient dans les rues de Courbazin, Sainte neuve et même Cayorac aux cris de « Youpi Bernard est revenu ! ». Pour finir de donner envie, quelques jours plus tard le quotidien macroniste a publié une demie-une pour m’attribuer le contrôle d’un parti de trois adhérents dont je ne suis pourtant pas membre. Malheureusement, sur la base de déclarations non vérifiées, il confond le Mouvement Insoumis avec sa déclaration dans la forme officielle qui ouvre le droit d’exister à son association de financement (les comptes du parti sont publiés au journal officiel et sont sur le site du mouvement). Des masses de lecteurs abusés se diront : « ah non puisque c’est comme ça, je lâche LFI et je rejoins Bernard ». Bernard c’est Cazeneuve, évidemment. Ne pas dire « nanard », ça le dégoute. Imparable. 

C’est le début de la fin pour moi. Quatre unes, quatre clous dans mon dernier cercueil politique. D’autant que je suis « totalement isolé à gauche » (Le Figaro) où je me serai « mis tout le monde à dos ». Ce qui est tellement nouveau après toutes ces années de chaude sollicitude amicale. Moins drôle, « Libération » me dit « pesant », alors que j’ai quand même perdu cinq kilos depuis la fin de la présidentielle. Le naturel des années Joffrin est revenu au galop dans le quotidien bobo de Drahi. Il reprend donc le ton de ses dix dernières années contre moi. Ouf ! Enfin de retour dans leurs routines.  De son côté, « L’Observateur » croit pouvoir dire après Attal que « Mélenchon a gagné à une voix un vote du groupe à propos de la ligne de celui-ci ». « L’Obs » gémit contre le blocage de la réforme: « il aura suffi d’une seule petite voix pour enliser le débat sur la retraite à 64 ! ». Et tout cela par la faute d’un « septuagénaire », rappelle-t-on, pour un hebdo où c’est encore l’âge tendre dans son lectorat. Quelle tristesse ! Mais il se mange les poings à tort. Le groupe Insoumis n’a pas voté sur ma proposition, pour la raison que je n’en suis pas membre. Et il a adopté ce jour-là un panel de quatre positions possibles au fil des heures à venir. Inutile de dire combien je suis heureux qu’on mentionne enfin le fait qu’on vote chez les insoumis. Certes seuls les votes censés m’être défavorables comptent, cela va de soi. Dans ce cas, je ne suis pourtant pas concerné car il n’existait aucune position contraire à la mienne (ne pas aller au vote de l’article 7) dans les quatre choix adoptés pour répondre aux circonstances. 

Mais il faudrait faire une enquête et « L’Obs » a mieux à faire. C’est-à-dire à entonner les refrain macroniste sur le danger Le Pen qui avance petit à petit : « la question n’est plus va-t-elle gagner mais peut-elle perdre » hoquète l’éditorialiste en panique. « L’Obs » fait ensuite un tableau idyllique de la lepénie en mouvement « sur le terrain ». L’immense stratège qui écrit n’hésite pas à dire ce qu’il faudrait faire impérativement : « se secouer ». Même Bernard Cazeneuve n’y avait pas pensé ! Tout ça pour en revenir à l’idée du front républicain qui exigerait une capitulation digne, sur la retraite à 64. La stratégie macroniste en gant de soie rose. « Quatre ans avant l’échéance de 2027 il est crucial que les forces démocratiques se secouent pour contrer l’irrésistible ascension. À commencer par la gauche qui serait bien avisée de quitter les effets de manche pour s’opposer à l’extrême droite là où elle est désormais bien installée : le terrain ».  Tellement neuf et frais depuis quarante ans ! 

De la caravane des insoumis dans les quartiers populaires recommencée ce lundi de vacances parlementaire, des plus de 200 meetings tenus depuis décembre, de la campagne de porte-à-porte en cours, de la façon dont nous préparons le blocage du 7 mars, rien. Pas un mot. Le terrain est ailleurs ? Comment prendre au sérieux de tels donneurs de leçons ? En réalité c’est une ligne. Elle forme un tout. Diaboliser pour isoler, diviser les Insoumis au profit d’une NUPES de retour dans la logique du front républicain : « les forces démocratiques » chères à L’Obs, unies de Macron à Cazeneuve en passant par Roussel « face à Le Pen ». La stratégie macroniste de 2017 puis de 2022. Pas un instant de réflexion sur les résultats des partielles il y a peine un mois qui démentent les pronostics de tous ces gens. Le monde hors-sol des dîners en ville parisiens sait-il combien les sorties des chefs de la CGT et de la CFDT ont choqué « sur le terrain » les syndicalistes du rang ? Eux savent ce que nous coûterait la division. Eux savent que les insoumis sont des millions « sur le terrain » et dans leurs rangs. Pour ma part je me demande quelle est la représentativité des propos de Martinez, car je connais l’état de la discussion dans la CGT avant son congrès. Je crois d’ailleurs que cet épisode l’alimentera. Là-dessus « Le Monde » dit qu’on me reproche mon « jusqu’au-boutisme ». Aaaaaah bon ! C’était ça ? Au moins c’est clair : oui j’assume d’être « jusqu’au-boutiste » contre la retraite à 64 ans. Les éditorialistes de la gauche nostalgique de Cazeneuve ne s’intéressent pas à savoir si les milieux populaires que nous représentons approuvent les saillies d’un Fabien Roussel applaudi par la droite et l’extrême droite dans l’hémicycle mais absent du vote contre la suppression des régimes spéciaux. Comment peuvent-ils croire que passe l’inepte baratin d’après lequel il fallait « voter l’article 7 pour voir ce que chacun vote » pour aider la mobilisation ? Et cela alors même que le groupe communiste du Sénat vient de décider à son tour de ne pas voter l’article 7 avant la date du 7 mars !

Ils ont annoncé déjà dix fois la fin de la NUPES parce qu’ils l’espèrent. Elle ne craquera pas. Elle se construit pas à pas dans l’épreuve. Ceux qui ne voulaient pas du « groupe unique NUPES » à l’Assemblée découvrent à présent l’inconvénient de leur posture. Ceux qui n’ont pas répondu à la lettre de la coordination de LFI pour un acte II de la Nupes le proposent désormais à leur tour. La conscience avance. Des dizaines de meetings sur le terrain sont appelés par toute la NUPES. Jamais une bataille pour la défense d’une conquête sociale fondamentale comme la retraite contre un pouvoir néolibéral n’a été menée dans une telle cohésion populaire. Et une telle cohésion politique. 89% des Insoumis sont favorables au blocage du 7 mars. Et 67% du total des sondés, toutes opinions politiques confondues de même (l’IFOP espérait sans doute un autre effet du mot « blocage ») ! Toutes les tentatives pour diviser le front social échoueront. Pourquoi ? Parce que nous ne céderons à aucune provocation d’appareil médiatique, politicien et autres. La défaite de Macron au premier tour de la législative de 2023 appelait la défaite de Macron vendredi dernier à l’Assemblée nationale. Une cohérence de fond de scène impose sa trame aux évènements. 

Depuis lors une nouvelle page commence. Le blocage général du 7 mars est le suivant palier. Un des huit syndicalistes de premier rang m’avait alerté : « si l’article 7 est voté, on ne fera plus que des manifs de militants ». Échec total de la macronie et de la ligne d’accompagnement. Donc le 7 mars, le pays sera bloqué. Quatre des plus importantes fédérations de la CGT appellent à des grèves reconductibles dans les secteurs économiques clefs du pays et se coordonnent pour l’organiser. Regardez de plus près les branches de FO et les sections CFDT, UNSA, Solidaire et aussi celles des syndicats de cadres ! Par centaines elles s’arc-boutent pour réussir le 7 comme on le ferait pour ouvrir une porte d’entrée. Et nous les Insoumis ! Nous avons nos objectifs d’élargissement. Ils sont bien engagés vers les commerçants (rideaux tirés le 7 mars) ; les prises de places et de ronds-points, les facs et les lycées. Il ne suffira pas de se raconter des histoires à dormir debout dans les sommets des appareils et dans les éditoriaux pour effacer ces réalités. Le 7 mars commence une autre saison. Dès le huit mars, le mouvement se superpose avec la journée de la lutte pour les droits des femmes. Ce sera un amplificateur, car les femmes sont les premières victimes de cette loi sur la retraite à 64 ans. Donc, pour commencer, le 7 mars le peuple bloquera tout !