Nous constatons une véritable crise humanitaire dans notre pays.
Dans une multitude de villes des centaines de personnes sont à la rue en plein hiver, des enfants, des personnes malades.
Des évacuations violentes de ces campements malgré la présence d’enfants sont demandées par les préfectures. Sans proposition de solutions de mise à l’abri, seule une errance est imposée à ces personnes… ou des séparations parents/enfants.
Certaines communes ont décidé d’attaquer l’État pour inaction et défaillance face à cette crise humanitaire que représente aujourd’hui le sans-abrisme.
C’est une nécessité face à un état défaillant.
Cela emprunte les modes d’actions des mouvements sociaux.
Mettre l’État en justice c’est le placer face à ses responsabilités avec un devoir de réponse judiciaire.
Quand l’Océan viking, bateau de sauvetage en mer affrété par l’ONG SOS Méditerranée, est en proie à un bras de fer diplomatique entre Paris et Rome, des collectivités et leurs citoyens proposent d’accueillir le bateau et les exilés et surtout affichent leur soutien financier et moral à l’ONG
Quand l’hôpital et l’accès aux soins sont mis à mal, des communes inaugurent des centres de santé publics animés par des médecins salariés par les villes.
Quand, selon la CPAM, à Fontenay-sous-Bois, 7600 personnes environ soit à peu près 20% de la population de la commune n’ont pas de mutuelle, la municipalité décide la mise en place d’une mutuelle communale pour essayer de faire en sorte que chacun ait une couverture complète pour accéder aux soins.
Cela concerne principalement les retraités qui n’ont plus de mutuelle mais également beaucoup de jeunes entre 18 et 25 ans.
Cela concerne aussi ceux qui ont des mutuelles trop chères et qui voudraient en réduire le prix avec une meilleure couverture. L’idée d’une mutuelle communale, c’est un tarif groupé, afin de diminuer les tarifs en améliorant la couverture.
« Je crois que je vais faire à peu près 1500 € d’économie par an, je paye 224 € par mois aujourd’hui, j’ai opté pour ma carte mutuelle municipale qui est à 98 € par mois avec une meilleure couverture” dit une habitante de 71 ans de Fontenay.
Enfin, même pour la souscription mutualisée des adhésions aux assurances habitation à prix cassé, soumise à condition de ressources, permet à certains locataires de profiter d’un gain de pouvoir d’achat conséquent avec une meilleure couverture.
Il y a dans ces mouvements une volonté de repolitiser par le bas, de recréer aussi du lien en démontrant à une partie des administrés qu’en fait, la politique se fait aussi par le territoire, par l’implication de la population sur des questions très concrètes.
Ces exemples de mutualisations pourraient encore se développer, comme la notion de sécurité sociale de l’alimentation développée par Bernard Friot* : afin d’inventer localement d’autres formes de solidarité entre communes que ce soit aux niveaux économique, écologique mais aussi au niveau démocratique avec des assemblées de citoyens pour des prises de décisions collectives à partir de sources d’informations réellement pluralistes.
Depuis 2012, par choix politique, une pression de l’État vérifie , avec des instruments de plus en plus intrusifs, que les collectivités locales ne dépensent pas trop, plafonnent les impôts pour une réduction des dépenses des collectivités locales. Cette surveillance mise en place pendant le mandat de François Hollande s’est aggravée sous Emmanuel Macron, rendant les problèmes sociaux, démocratiques et écologiques explosifs auprès d’une population de plus en plus confrontée à la précarité.
Les élus locaux qui font face à une succession de crises n’ont plus de liberté sur le financement pour agir contre l’urgence et pour le maintien des services publics. Cette situation crée un hiatus entre les élus locaux et un état volontairement défaillant.
En France à la fin du 19e siècle, la loi du 7 août 1851 dite « d’assistance publique » pose les prémices du service public hospitalier au moment où la progression de l’État-providence et des politiques sociales étaient bloquées au niveau parlementaire par l’influence des libéraux.
Des réformateurs dans beaucoup de villes françaises ont investi les municipalités pour en faire des lieux d’expérimentation et de développement de la solidarité sociale. C’est à ce moment qu’on va inventer les premières formes de mutuelles de l’hôpital public, de prise en charge de problèmes de santé, de vieillesse, de maladies.
Les notions de ville-refuge, villes rebelles et néo-municipalisme revendiquent davantage d’autonomie pour les municipalités sur les questions sociales, environnementales, économiques et politiques.
Nous avons retrouvé ce néo-municipalisme par exemple dans le mouvement de ce qu’on appelle les listes participatives qui se sont présentées en 2020 et qui sont aujourd’hui fédérées par un acteur qui s’appelle Fréquence commune**, réseau national de ces listes, dont certaines ont gagné les élections municipales.
Il faut repartir de la commune : repenser la place des élus, repenser la place des habitants, repenser la place de la démocratie participative pour aboutir à des solutions d’ensemble sur des problèmes qui touchent directement les citoyens. Cela induit des changements structurels de fond beaucoup plus importants que le bricolage de “solutions” imposé par l’État défaillant actuel.
Article réalisé à partir de l’émission France culture de Nora Hamadi, Sous les radars, 10 décembre 2022.
*Anciennement professeur de sociologie à l’Université de Paris-Nanterre, Bernard Friot mène des recherches depuis une cinquantaine d’années sur les questions de salaires et de sécurité sociale. Il est membre d’une organisation d’éducation permanente, Réseau salariat, qui développe, entre autres, le principe d’une sécurité sociale de l’alimentation pour en finir avec l’agro-industrie capitaliste qui encourage la malbouffe, la pollution des sols et la malnutrition.
**La coopérative Fréquence Commune agit depuis 2019, en accompagnant les habitants, les agents et les élus qui réinventent la démocratie par le bas pour opérer une transformation écologique et sociale de notre société.
http://www.frequencommune.fr