L’outil du code pénal au service de la classe dominante

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Dans l’esprit des dominants, les conditions sociales de vie ne font que souligner en creux les tares naturelles qui affecteraient la plèbe*. Un juriste éminent de l’ancien régime (Target, cité par Foucault dans la Société punitive), est chargé d’élaborer le premier code pénal** en 1801, il formalise sous la forme d’un texte l’opposition qu’il y aurait entre la classe des possédants, « éclairée par les lumières, perfectionnée par l’éducation, adoucie par la sociabilité, ennoblie par les sentiments moraux », aux classes populaires dégradées par la misère, avilies par le mépris et vieillies par de longues habitudes de crimes et de fautes : « des âmes dures, sèches, farouches, dénuées d’idées morales, n’obéissant qu’à leurs grossières sensations, et où pullulent des délits et des crimes de toutes espèces ».

C’est bien alors tout le corps social qui est menacée par cet antagonisme lors de la rédaction de cet outil à la répression qu’est le code pénal. Il fracture la classe ouvrière entre plèbe et bons ouvriers et oppose les classes de manière irréconciliables entre la paresse, la débauche, l’avidité, la malhonnêteté de la populace et la sagesse, le travail, la rectitude morale d’une bourgeoisie pieusement dévouée à l’économie marchande et au développement des richesses.

La constitution d’une classe moyenne/moyenne plus a fracturé encore l’homogénéité des travailleurs entres eux. Nous voyons aujourd’hui des réactions par la classe ouvrière « moyenne » honnêtes et docilement soumise, pourtant en difficulté, envers l’utilisation des acquis sociaux par ceux qui ont le moins … plutôt que de remettre en cause ceux qui ont le plus. Le système capitaliste puis le libéralisme actuel est très puissant à faire croire à la classe moyenne que les profiteurs sont les gens qui ont le moins… alors qu’ils en sont si proches.

L’intériorisation de cette opposition par le prolétariat lui-même entre l’honnête travailleur et le délinquant marginal fait entendre, en brouillant la continuité entre les formes diverses d’illégalismes, luttes politiques, brigandage et criminalité, comment les masses populaires ont pu reprendre à leur compte l’idéologie bourgeoise refusant à priori tout usage de la violence et le recours à l’insurrection, et condamnant tout autant la délinquance, qui serait le propre du sous- prolétariat et des marginaux de la société , à l’image de la « canaille de banlieues »

Car « Exercer le pouvoir, c’est d’une certaine manière mener la guerre civile » (Foucault).

Le code pénal promulgué en 1808, a été abrogé en… 1958 et remplacé par le code de procédure pénale et pourtant rien a changé dans le mépris envers les travailleurs : si l’expression de « guerre » parait outrancière, on se souviendra de la formule employée en 2005 par le milliardaire américain Warren Buffet, qui était à l’époque la première fortune mondiale et reste aujourd’hui dans le top 10 des plus riches : « Il y a une guerre des classes, et c’est nous les riches qui la gagnons ». La guerre est la forme même du rapport de pouvoir, guerre qui devient sociale en servant à la répression des émeutes et des séditions – un état de guerre moderne ordonné sur une fonction répressive qui mobilise le droit pénal, les institutions judiciaires et policières pour protéger la société.

La bourgeoisie des ultras riches s’est emparée du système judiciaire pour contrôler et anéantir les illégalismes populaires ; le Droit est alors devenu « une manière de faire la guerre » (Foucault).
Il s’agissait d’abord de lutter contre les déprédations de la propriété matérielle. Le système industriel de la manufacture mettait au contact des travailleurs l’ensemble des richesses matérielles investies dans le processus de production : machines, matières premières, outils, avec la tentation du vol, du détournement, du sabotage… Mais l’enjeu consistait surtout dans la répression de la dissipation du temps et de la force des travailleurs eux-mêmes. Il fallait contrôler l’absentéisme et les retards, et ce dont il était le symptôme : la paresse, le goût immodéré pour la fête, la débauche, et le recours au nomadisme pour échapper à l’enfermement dans les manufactures. L’appareil administratif et policier de la fin du XVIIIème siècle s’est ainsi transformé en un appareil judiciaire fournissant un système général de surveillance et de répression pénale visant à mettre sous contrôle généralisé toutes les couches populaires.

Cette représentation idéologique d’une plèbe séditieuse et a-sociale par nature permet de comprendre pourquoi les grandes phases d’évolution du système pénal et donc des législations répressives ont été, et sont, autant de façons de répondre à des formes de luttes populaires – voir l’inflation récente des lois sécuritaires, reprises à la législation antiterroriste, lors des mouvements contre les lois-travail, la réforme des retraites et le mouvement des gilets jaunes, ou même les lois d’exception organisant la surveillance policière des confinements visant à contenir l’épidémie de Covid. Voir la baisse des allocations chômage et maintenant une nouvelle loi sur l’immigration qui veut supprimer l’AME parce que l’on veut nous faire croire que c’est l’immigré qui est la cause de nos maux. Nous entrons véritablement dans une aire de paranoïa. Avec tous les risques d’illibéralisme *** que cela induit.


1/ Les Vagabonds

2/ L’asservissement des masses populaires

Article de S. Talbot à partir du livre de Jacques Deschamps :

Éloge de l’émeute. Les liens qui libèrent. 2023

*Plèbe. La plèbe est une partie du peuple romain, c’est-à-dire les citoyens romains, distincts des esclaves. Les plébéiens se définissent par opposition aux patriciens.

Populus. Plébéiens. Patriciens. Littéraire et péjoratif : Le peuple, le bas peuple ; populace.

**Le 21 mars 1801 est nommée une commission de cinq membres, les juristes Viellart, Target, Oudart, Treulhard et Blondel, chargés de rédiger un nouveau code criminel : ce code pénal est un recueil de textes juridiques qui vise à faire respecter l’ordre public et à protéger la société. C’est un droit répressif. Il définit de façon claire et précise les contraventions, délits et crimes. Il fixe en même temps les peines qu’encourent les auteurs d’une infraction et réprime les comportements fautifs qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales, il sera promulgué en 1808.

*** Au contraire de la démocratie libérale, où l’expression de la volonté populaire est encadrée par les gardes fous de l’État de droit, et où elle peut le cas échéant être contredite par des juges constitutionnels qui ne sont pas élus, la démocratie illibérale prétend lui donner libre cours et œuvre à s’affranchir des entraves de l’État de droit.